Après les trois trios pour piano et cordes par Elena Bashkirova, Julian Steckel et Michael Barenboim le 27 février dernier, retour en pays brahmsien avec cette fois l’intégrale des sonates pour violon et piano, elles aussi au nombre de trois, avec le duo français formé par Nicholas Angelich au piano et Renaud Capuçon au violon. Œuvres de la maturité, les sonates représentent un sommet de l’écriture piano-violon, tant au niveau de l’équilibre entre les deux instruments que de la richesse motivique fruit d’une inspiration féconde.
La première sonate partage avec le concerto pour violin, écrite la même année, une couleur apaisée et confiante qui s’incarne dans leurs Adagio respectifs par une longue et lente mélopée du violon, douce, presque immobile. Le Vivace non troppo est abordé avec un tempo lent qui le rend solennel et qui en même temps l’irrigue d’une lumière heureuse et sereine, comme une célébration matinale de la vie. C’est là une vision ataraxique qui, menée jusqu’au bout, oblige les musiciens à ralentir lors de la réexposition. Nicholas Angelich accorde un soin particulier au chant de la main gauche, révélant sa dimension mélodique. La souplesse et la langueur de son jeu s’harmonise avec l’atmosphère, mais il étouffe systématiquement dans ce mouvement les fins de phrase, comme s’il avait peur de parler, par souci de ne pas troubler cette paix. Au début de l’Adagio, le pianiste a une sonorité très feutrée, en sourdine, que n’arrive pas à tenir Renaud Capuçon, trop présent dans son entrée. Le violoniste a cependant l’intelligence de jouer par moment sans aucun vibrato, renforçant l’immobilité contemplative dans laquelle la musique se déploie, avec une grande tendresse. Le statisme est ici un parti pris, que les interprètes assument jusqu’au bout. Si une telle vision peut être déroutante, elle a l’avantage de mettre en valeur la fluidité de l’Allegro molto moderato, que les musiciens accentuent par un tempo rapide en soulignant les structures phrasiques. Renaud Capuçon a un son généreux, la musique semble couler par grand souffles, comme des vagues.