Franz Liszt aurait pu jouer et enseigner aux États-Unis. New York était déjà un centre musical avancé depuis que Lorenzo Da Ponte s'y était installé. Avant sa mort en 1848, le librettiste de Mozart y jettera même les bases de la première université de musique américaine. Qu'aurait pu rapporter le compositeur hongrois d'un Nouveau Monde qui dès le XIXe siècle attira Sigismond Thalberg, Anton Rubinstein et devint rapidement un puissant aimant attirant les grands noms de la musique ? Antonín Dvořák dirigera ainsi le Conservatoire de New York de 1892 à 1895, en rapportera son Quatuor américain et sa célébrissime Symphonie « du Nouveau Monde », si fameuse qu'elle est paradoxalement beaucoup moins jouée qu'elle ne le fut.
Le chef ouzbek Aziz Shokhakimov et l'Orchestre National des Pays de la Loire en ont donné une interprétation exceptionnelle, remettant le tipi au milieu du village, en l'occurrence la grande scène de l'Équinoxe, partenaire des Lisztomanias de Châteauroux. En première partie, le chef et la formation basée à Nantes et Angers avaient fait dresser l'oreille, en accompagnant avec une précision de mise en place, un élan collectif et un soin remarquables Alexandre Kantorow aussi étincelant et chevaleresque dans le Concerto n° 2 de Liszt qu'il avait été démiurge dans Après une lecture du Dante, donné en guise d'ouverture, et qu'il sera lyrique dans un Sonnet 104 de Pétrarque chanté avec une sonorité profonde, lumineuse et scintillante, joué en bis, acclamé par l'orchestre.
Comme son confrère Benjamin Grosvenor, Alexandre Kantorow nous parle d'un autre monde, habité par une poignée de géants qui se succèdent de loin en loin depuis Chopin et Liszt. Il est heureux que le président de la République Emmanuel Macron, après l'avoir fait chevalier des Arts et Lettres, l'ait convié à donner un récital à l'Élysée, ce mardi 19 octobre, devant des élèves qui seront à l'écoute d'un jeune homme à peine plus âgé qu'eux dont ils n'imaginent pas qu'il puisse exister et puisse faire naître tant de beauté et de spiritualité d'un piano.
Aussi, c'est donc avec une grande impatience et curiosité qu'on attendait la Symphonie « du Nouveau Monde ». Le nom de Shokhakimov, chef âgé de 33 ans, nous disait bien quelque chose absent de sa biographie officielle. Certes, on savait qu'il vient juste d'être nommé patron de l'Orchestre philharmonique de Strasbourg, mais en fouillant dans notre mémoire, nous est revenu qu'il avait fait ses débuts en France, invité par René Martin à la Folle journée de Nantes et à La Roque d'Anthéron, voici déjà cinq ou six ans, attirant ainsi l'attention sur son talent exceptionnel. Sans vouloir être désagréable avec l'ONPL, on ne dira pas de cette formation qu'elle est l'une des premières de l'Hexagone. Elle revient même de loin, mise entre les mains de directeurs musicaux qui dans le passé n'ont pas travaillé avec le sérieux, l'opiniâtreté, le talent que Pascal Rophé déploie depuis 2014 : il a fait faire un bond qualitatif remarquable à l'orchestre.