Le projet de tournée internationale mené par Sir Simon Rattle un peu plus d'un an avant la fin de son mandat à la tête des Berliner Philharmoniker est assez exceptionnel : proposer l'intégrale des symphonies de Beethoven successivement à Berlin, Vienne, Paris, New York et Tokyo. Le troisième concert de cette étape de tournée française est à nouveau un magistral succès pour le chef britannique.
Ces concerts sont l'occasion de découvrir comment, depuis son arrivée comme directeur musical en 2002, Rattle a su imprimer une nouvelle patte sur cet orchestre mythique, même dans le cœur de son répertoire. D'aucuns ont pu se plaindre à la fin du XXe siècle que l'orchestre avait perdu sa magnificence et le son opulent auxquels ils étaient habitués. En fait, les berlinois avaient pendant 40 ans de règne de Karajan sacrifié à l'hédonisme de leur chef pour atteindre une beauté du son dans laquelle ils s'étaient quelque peu enfermés. Le travail qu'a effectué Rattle depuis quinze ans, continuant l'ouverture du répertoire engagée par Abbado, est particulièrement audible dans ce Beethoven.
La première partie du concert était dévolue à la Symphonie n° 8, injustement méconnue dans l'ombre de ses voisines la Septième et la Neuvième mais pourtant l'une des préférées du compositeur. Pour cette oeuvre qui regarde encore du côté de Haydn et Schubert, comme pour le reste du cycle, Rattle choisit un effectif de cordes assez restreint qui met en valeur la magnificence des bois solistes. Dès le premier mouvement, il impose une énergie et une tension étonnantes, impulsant chaque entrée de pupitre de cordes. Les contrastes de dynamiques sont très importants, avec parfois le sentiment (c'est l'écueil de cette interprétation) d'une vigueur qui confine à la sécheresse. L'Allegretto scherzando et le Tempo di minuetto, appuyé mais pas pesant, réussissent néanmoins à combiner énergie et grâce, avec notamment le basson magnifique de Daniele Damiano. Le finale permet lui d'entendre l'incroyable palette de nuances que savent produire les Berliner, depuis le bruissement initial des violons jusqu'a l'intense série d'accords de la coda.
En deuxième partie, les musiciens ont livré une version extrêmement intense de la Sixième symphonie dite "Pastorale". Cette oeuvre toute imprégnée d'exaltation de la campagne et à volonté descriptive, a été vue par les compositeurs romantiques qui ont suivi comme une préfiguration de leur regard sur la nature (on pense bien sur à la Scène aux champs de la Symphonie Fantastique de Berlioz). Le parti pris d'expressivité que choisit le chef anglais est servi par un engagement exceptionnel et sans faille de chacun des musiciens, du konzertmeister au dernier violon tuttiste. L'Allegro ma non troppo initial est une magnifique démonstration de la formidable homogénéité de l'ensemble des pupitres, alors que la Scène au bord du ruisseau jouit d'une poésie bucolique dans laquelle excellent la flute délicate d'Emmanuel Pahud et le hautbois charmeur d'Albrecht Mayer.