Récital éblouissant du violoncelliste anglais Steven Isserlis à la Stadtkirche de Thoune, en Suisse, lors des "Semaines Bach" 2017. Au programme, quatre Suites pour violoncelle seul de Bach auxquelles sont associées quatre pièces brèves de György Kurtág, compositeur d'origine hongroise (1926 -) auquel le violoncelliste est particulièrement attaché.
Enthousiaste, le public observe toutefois, durant l'exécution des œuvres, un profond silence, justifié par la sobriété d'une interprétation qui ne cède cependant rien en richesse, en force ; au contraire. Dès le Prélude de la Suite n°1, une sensation de gravité, conduit presque à croire à une transposition quelques tons plus bas que la tonalité attendue. Effet provenant sans doute d'une maîtrise particulière et précise des harmoniques, la sonorité se trouvant dépouillée de toute exubérance. Les Sarabandes vont s'y révéler merveilleuses ; celle de la Suite n°5, construite sur des motifs répétitifs devient ainsi une sorte de Perpetuum mobile lent et profond, temporalité suspendue. Le Prélude de la Suite n°3 lui-même demande, certes, des forte au timbre plus chatoyant mais ceux-ci alternent toujours avec des piano tout en intériorité, en retenue. Les Gavottes quant à elles, naturellement plus enjouées, n'oublient pas la rigueur voulue par l'interprète : ligne mélodique, pulsation reflètent encore une simplicité, évidemment finement travaillée. De même, dans l'Allemande de la Suite n°3, bien que les notes piquées avec légèreté sur un rythme rapide prennent une forme joyeusement chantante, il s'agit d'une joie contenue, intériorisée.
Sous l'archet de Steven Isserlis, les suites prennent un caractère méditatif semblant traduire l'aspiration à un monde désiré mais invisible. On ne peut s'empêcher d'ailleurs en observant le musicien, visage et regard quelquefois comme tournés vers le ciel, de songer à l'attitude contemplative de personnages de Rubens. Quant à l'instrument lui-même, il rend parfois le son délicat de la viole de gambe.
Il ne faut toutefois pas tirer la conclusion que Steven Isserlis rendrait les pièces hiératiques, sombres. Au contraire, dans les Gavottes, comme on l'a déjà évoqué, dans les Courantes aussi, le timbre, vibrant sur des harmoniques essentiels, renforce avec naturel la cohésion, la vigueur des sons. Un mouvement, retient à cet égard l'attention : la Courante de la Suite n°5. Le violoncelliste y met en relief avec habileté les traits fondamentaux de son éblouissante architecture, par delà la complexité de son écriture, rendant plus aisément accessible une œuvre merveilleusement conçue et exécutée.