Le 12 avril 1891, Sibelius assiste à Vienne à une représentation de la neuvième symphonie de Beethoven dirigée par Hans Richter. Il écrit quelques jours plus tard : « J’étais si bouleversé que j’en ai pleuré. Je me sentais si petit, si petit. Richter s’est montré splendide ». C’est sans doute ce concert qui décida Sibelius à imaginer une forme symphonique « à la finlandaise » qui allait devenir Kullervo. Quelque temps plus tard, il écrit à sa femme Aino : « Je suis persuadé que le temps n’est pas loin où nous commencerons à apprécier nos vieux, nos authentiques chants finlandais. Nous découvrirons alors que les anciens Finlandais qui ont créé le Kalevala (grande épopée mythique finlandaise) étaient aussi des grands musiciens. Je travaille maintenant à une symphonie qui respire entièrement la Finlande. Le monde primitif finlandais a pénétré ma chair et mon cœur ». Plus tard, il écrit aussi : « Mes humeurs dérivent toutes du Kalevala. J’ai une idée de plus en plus claire de ma symphonie ». Mais, en fait Sibelius s’était plongé dans la lecture du Kalevala depuis la fin de l’année 1890. Il se fixe deux objectifs : s’inspirer de Beethoven, « le plus grand des compositeurs », et composer une musique authentiquement finlandaise. Cette empreinte majeure n’excluait pas l’intégration d’autres influences : celles de la musique russe, de Wagner et des poèmes symphoniques de Liszt. En pleine composition, il écrit : « Je ne tiens pas à frapper une note fausse ou artificielle, c’est pourquoi j’écris puis déchire ce que j’ai écrit en réfléchissant beaucoup à ce que j’essaie de faire. Je pense cependant être maintenant sur la bonne voie ».
Kullervo est la première œuvre importante d’un Sibelius qui est alors âgé de 26 ans. Poème symphonique pour soprano et baryton, chœur d’hommes et grand orchestre, cette pièce a été créée, sous la direction du compositeur, à Helsinki le 28 avril 1892 devant une salle pleine. Emmy Strömer-Ackté et Abraham Ojanperä étaient les deux solistes et le chœur, composé ce soir-là de quarante chanteurs, était le Chœur d’hommes de l’Université d’Helsinki fondé dix ans plus tôt à l’université d’Helsinki et qui a depuis maintes fois interprété cette œuvre. La fille d’Emmy Strömer-Achté, Aino Achté, alors âgée de 16 ans et qui fit une immense carrière de soliste notamment au sein de la troupe de l’Opéra de Paris, était dans la salle. La création fut un véritable succès, bien sûr du fait des mérites de l’œuvre, mais aussi par la fierté de voir traduite en musique l’essence même de l’épopée nationale finlandaise. L’utilisation de la langue finnoise avait alors d’évidence une dimension politique qui n’a pas échappé aux quelques nationalistes présents et la première exécution de Kullervo constitue sans aucun doute l’acte de naissance de la musique finlandaise moderne. Du même coup et en quelques instants, Sibelius devient lui aussi un mythe.
À part trois autres représentations, également sous la direction du compositeur en 1893, Kullervo ne fut à nouveau joué en entier que le 13 juin 1958, soit neuf mois après la mort du compositeur, à Helsinki sous la direction de Jussi Jalas. La partition ne sera publiée qu’en 1966. En France, c’est seulement en 1994 à la Salle Pleyel que Jacques Mercier à la tête de l'Orchestre national d'Île de France et du chœur Laulun Ystävät (Les Amis du chant) de Turku donneront la première française. En 2007, l’Orchestre National de France programma Kullervo sous la direction d’Eivind Gullberg Jensen et le Chœur de Radio France, premier chœur français à chanter cette œuvre, fut alors préparé par un chef de chœur finlandais, Hannu Norjanen. En ouverture de son mandat comme directeur musical de l’Orchestre de Paris en 2010, l’estonien Paavo Järvi programma une nouvelle fois Kullervo en adjoignant aux hommes du chœur de lOrchestre de Paris le Chœur National d’Estonie. En l’honneur des 150 ans de la naissance de Sibelius, une version de Kullervo chorégraphiée par Tero Saarinen fut également programmée début 2015 et avec grand succès à l’Opéra National de Finlande à Helsinki.