À l’origine, Ariadne auf Naxos avait été conçu par Richard Strauss et Hugo von Hofmannsthal comme un court divertissement destiné à compléter une représentation du Bourgois Gentilhomme. Mais devant le peu de succès rencontré lors de la création (Stuttgart, 1912), le compositeur et le librettiste en ont totalement revu la structure.
Dans la seconde version, créée quatre ans plus tard à la Hofoper de Vienne, ils ont ainsi remplacé la pièce de Molière par un prologue qui met en scène les préparatifs de la représentation d’un opera seria et d’une pièce comique inspirée par la commedia dell’arte. Afin de gagner du temps, le maître de maison, un riche mécène viennois, décide de fusionner les deux spectacles, au grand dam du Compositeur et des protagonistes. Nous assistons ensuite à la représentation de l’opéra qui, mêlant le « buffo » et le « serio », nous transporte sur l’île de Naxos où Ariane, délaissée par son bien-aimé Thésée, se morfond, insensible à toutes les tentatives menées par Zerbinetta et sa troupe pour la divertir. Alors qu’elle est prête à mourir, Bacchus fait son entrée, et tous deux sont emportés par l’amour. Cette mise en abyme de la création opératique développe les thèmes que l’on retrouvera plus tard dans Capriccio : la réflexion sur la création lyrique, la querelle entre théâtre et musique, le pastiche de l’opera seria, et la métamorphose.
La mise en scène de Laurent Pelly (créée en 2003 et reprise l’année suivante, puis en 2010) réserve à ces éléments un traitement fidèle, sans réelle audace. Le prologue se déroule dans le hall de l’hôtel particulier du mécène – un intérieur-extérieur sobre et assez beau. Quant à l’opéra, il nous transporte dans le décor de béton, délibérément laid, d’une Naxos réinterprétée en immeuble en construction, au sein duquel évolue une Ariane SDF. Cette transposition ne fonctionne pas si mal, notamment grâce aux éclairages, qui, tout au long de la représentation, rendent compte très efficacement des états d’âme des personnages. Si l’œuvre est dans l’ensemble bien respectée, il n’en va pas de même pour la scène finale. Alors qu’Ariane et Bacchus devraient tomber en amour et s’envoler ensemble vers la félicité, Bacchus quitte progressivement la scène, laissant Ariane seule. Celle-ci, abandonnée une seconde fois, s’effondre : est-elle morte ? Il existe là une réelle et regrettable contradiction entre les discours musical et théâtral, et le thème de la métamorphose, si cher à Strauss et à son librettiste, semble avoir été totalement escamoté. Fort heureusement, le plateau et la fosse nous font oublier bien vite ce petit hiatus. Et le public de Bastille, habituellement si froid, ne s’y est pas trompé, qui a très longuement et chaleureusement applaudi ce magnifique spectacle. Fait devenu rarissime à l’Opéra de Paris, deux bouquets ont même jailli du parterre pour atterrir aux pieds d’Elena Moşuc !