Il y a 20 ans cette année que l’ensemble montréalais Constantinople roule son projet à travers le Québec, le Canada et le monde : transmettre l’intarissable répertoire des musiques traditionnelles d’Occident et d’Orient, en offrant au passage des compositions nouvelles qui s’en inspirent, le tout à la faveur de rencontres avec des artistes aux univers variés. Pour fêter son anniversaire, samedi à la Salle Bourgie, l’ensemble se propose de mêler son imaginaire à celui de la formation du gambiste Fahmi Alqhai, Accademia del piacere. Le concert De Castille à Samarkand fournit l’occasion d’une riche correspondance entre les traditions perses et la Renaissance espagnole.

De Castille à Samarkand, Salle Bourgie © Juanma Lobatón
De Castille à Samarkand, Salle Bourgie
© Juanma Lobatón

Dans une allocution introductive, Kiya Tabassian (directeur de Constantinople) rappelle qu’aux XIVe et XVe siècles des échanges avaient lieu entre l’Europe, la Perse et l’Asie centrale. La musique, entre autres, en a gardé les traces. Dans le XVIe siècle espagnol, la polyphonie d’inspiration franco-flamande est de cette façon truffée d’éléments mauresques. C’est ce que le concert met en valeur, en offrant un foisonnant bouquet d’œuvres : des chants perses (inspirés par les poèmes de Hâfez), des musiques purement instrumentales, orientales et espagnoles, ainsi que des compositions originales de Tabassian et d’Alqhai.

Les musiciens n’ont pas joué une note que déjà les instruments exercent leur charme, dans un assortiment visuellement accrocheur : le setâr (sorte de petit luth à trois cordes, mais à très long manche), le kanoun (de la famille des cithares sur table, qui se joue sur les genoux en pinçant les cordes), le tombak (tambour en gobelet), le daf (tambour sur cadre dont l’intérieur est chargé de petits anneaux qui bruissent), bon nombre d’autres instruments à percussion et, enfin, trois instruments pour le moins baroques, des violes de gambe.

Loading image...
De Castille à Samarkand, Salle Bourgie
© Juanma Lobatón

Tout au long de la soirée, on se demande qui emporte la palme sous le rapport des décibels, des musiciens enflammés ou du public qui lâche ponctuellement des tonnerres de bravos. Car c’est une prestation exceptionnelle que nous livrent Constantinople et Accademia del piacere. Les pièces sont d'autant plus magnifiques qu'elles sont jouées avec une passion rare. C’est le plaisir, visiblement, qui dirige l’ensemble de sept musiciens formé pour le concert. On note une grande complicité entre eux, qui se traduit par des sourires échangés et qui induit une superbe écoute, une assistance mutuelle très naturelle.

Les couleurs sont somptueuses. Sautillant, libre, chantant, le setâr de Tabassian offre un petit quelque chose de nasillard et de poétique. Le kanoun de Didem Basar, aux sonorités cristallines, brille par sa délicatesse, ce qui ne l’empêche pas d’arpéger furieusement certain solo. Sous les mains d’Hamin Honari, le tombak et le daf prodiguent un soutien sans faille, jamais excessif. Dans les solos de daf, Honari épate par sa maîtrise des combinaisons techniques : il semble un orchestre à lui seul et fait littéralement danser son instrument (ce qui produit le bruissement caractéristique des anneaux). La panoplie de percussions qui sont du ressort de Patrick Graham, elle, densifie et réchauffe agréablement les tuttis. Les cordes de l’Accademia, de leur côté, propulsent des lignes droites, pures, émaillées parfois de vibrato, mais aux endroits seuls qui les appellent – et la viole de Fahmi Alqhai, dans ses moments les plus enflammés, gravit et descend les traits de gamme avec une adresse proprement exaltante.

Loading image...
De Castille à Samarkand, Salle Bourgie
© Juanma Lobatón

Une proposition originale et intelligente, des sonorités superbes, des musiciens complices et passionnés : voilà ce qui jalonne le chemin de Castille à Smarkand – pour peu qu’on ait Constantinople et l’Accademia comme compagnons de route !

*****