Créée il y a dix ans et ayant déjà fait l’objet d’une reprise, La Forza del destino vue par Jean-Claude Auvray est maintenant bien connue. Les représentations actuellement données à l’Opéra Bastille confirment le souvenir d’un spectacle dont l’intérêt va déclinant : les deux premiers actes séduisent plutôt, avec notamment des appartements du Marquis de Calatrava qui semblent reproduire grandeur nature une scène de genre d’un tableau du XIXe siècle espagnol, ou l’immense Christ surplombant le couvent de la Madone des Anges au deuxième acte ; mais le fait de plonger l’immense scène de la Bastille dans le noir, sans aucun décor, pour presque tout le reste du spectacle devient vite pour le moins lassant. Le plateau devient certes plus coloré pour la scène qui clôt l’acte III (une scène assez kitsch avec des vivandières levant les jambes en rythme comme si elles dansaient un vulgaire can-can), et il s’anime de nouveau quelque peu pour l’ultime scène de l’œuvre, mais c’est bien peu… d’autant que la direction d’acteurs reste par ailleurs fort conventionnelle. La transposition à l’époque du Risorgimento n’apporte quant à elle pas grand-chose et ne suffit pas, quoi qu’il en soit, à conférer cohérence et dramatisme à un livret il est vrai au moins aussi abracadabrant que celui du Trouvère.
La cohérence, c’est plutôt du côté de la baguette de Jader Bignamini, à la tête d’un orchestre et de chœurs en très bonne forme, qu’il faut la chercher. Après un début peut-être un peu trop policé (en dépit d’une ouverture bien enlevée et justement applaudie), le chef parvient à conférer à l’œuvre sa nécessaire urgence dramatique, en évitant soigneusement tout excès qui pourrait dénaturer le langage et le style verdiens.
Côté chanteurs, la moisson est un peu inégale. Si Nicola Alaimo est un Melitone dont la truculence ne l’emporte jamais sur le respect de la musique, la voix de Ferruccio Furlanetto paraît aujourd’hui bien usée, et ses sonorités engorgées sont rétives à tout legato, particulièrement au deuxième acte dans son duo avec Leonora. On lui préfère le Marquis noble et stylé de James Creswell, à la voix saine et bien projetée, que l’on espère réentendre bientôt dans un rôle plus important. La Preziosilla d’Elena Maximova ne séduit guère : le timbre manque de moelleux, et l’émission vocale est parfois un peu curieuse, avec des sonorités qui se réfugient trop souvent dans les joues.