Pour illuminer cette fin d’année lyrique, Paris met Rossini à l’honneur. Après Il Barbiere di Siviglia qui a enthousiasmé le public du Théâtre des Champs-Elysées, Le Comte Ory vient clore en apothéose la saison 2017 de l’Opéra Comique, avec à la manœuvre le tandem Louis Langrée et Denis Podalydès.
Créé à l’Opéra Le Peletier en 1828, Le Comte Ory est l’avant-dernier opéra de Rossini. Composé sur un livret en français d’Eugène Scribe, ce vaudeville médiéval relate les mésaventures d’un aristocrate libertin, le Comte Ory. Celui-ci entend bien profiter de l’absence de la quasi-totalité des hommes du château de Formoutiers, partis aux croisades, pour séduire la belle et vertueuse Comtesse Adèle, sœur du châtelain. Pour ce faire, avec la complicité de son ami Raimbaud, il commence par se déguiser en homme d’Église afin de prodiguer à la Comtesse « réconfort et consolation », mais il est démasqué à temps par le Gouverneur, que son père a chargé de surveiller. Loin de se décourager, il s’introduit au château avec ses compagnons, faisant passer la troupe pour des pèlerines surprises par l’orage. Cette fois, c’est Isolier, son propre page qui, amoureux sincère de la Comtesse, lui tend un piège et le ridiculise, juste avant le retour des hommes du château.
Le Comte Ory est l’objet d’un double – et noble – recyclage. En effet, pour le livret, Scribe a repris une pièce en un acte datant de 1816, à laquelle il a ajouté un « prequel », tandis que Rossini a largement réutilisé pour l’acte I la partition de Il Viaggio a Reims, opéra de circonstance composé en 1825 à l’occasion du couronnement de Charles X. La partition utilisée ici est celle de la nouvelle édition critique de Damien Colas qui renoue avec l’originale, notamment en termes de longueur.
Huit ans après Fortunio, leur première création commune pour l’Opéra Comique, Denis Podalydès et Louis Langrée convient le public à une véritable célébration musicale et théâtrale où tout étincelle, à commencer par un plateau vocal de haute volée. À tout seigneur, tout honneur, Philippe Talbot impressionne, non seulement par l’assurance et la facilité de ses aigus et des acrobaties auxquelles la partition le contraint, mais aussi par la virtuosité de l’ensemble de sa prestation. De la voix et du geste, il épouse avec une égale acuité toutes les dimensions du personnage : fourberie, séduction, impétuosité, ridicule. Face à ses assauts, Julie Fuchs est une comtesse tout aussi « impériale ». On ne se lasse pas d’admirer le timbre toujours lumineux, les aigus et les vocalises, toujours déconcertants de facilité et cette présence scénique, qui l’autorise à donner à son personnage des allures mutines du meilleur effet. Jouant subtilement sur les teintes sombres de sa voix charnue et chaleureuse, Gaëlle Arquez est un très noble Isolier, amoureux timide à la flamme néanmoins très ardente. Ève-Maud Hubeaux, bien qu’annoncée souffrante, incarne une Dame Ragonde remarquable avec notamment des graves d’une beauté renversante. La voix profonde de Patrick Bolleire donne au Gouverneur toute la droiture et l’autorité qui siéent au personnage, même si les notes les plus basses la soumettent à une tension palpable. Jean-Sébastien Bou n’est peut-être pas le rossinien le plus académique, mais sa voix et son jeu en font un Raimbaud impayable. Cerise sur le gâteau, même le petit rôle d’Alice reçoit avec Jodie Devos une interprétation splendide.