Le 28ème festival international de musique de Colmar sous la direction artistique de Vladimir Spivakov s'achève sur un hommage rendu à Jascha Heifetz, disparu en 1987, à qui ce festival a été entièrement consacré. En résidence à Colmar, l'Orchestre National Philharmonique de Russie accompagne la magnifique violoniste allemande d'origine Sud Coréenne Clara-Jumi Kang. Placé sous la direction de son chef et fondateur, Vladimir Spivakov, l'orchestre fait entendre, Heifetz oblige, trois œuvres concertantes pour violon et orchestre et deux œuvres représentatives de l'Amérique dans laquelle a vécu le célèbre violoniste.

Clara-Jumi Kang, soliste, fait briller son violon lors des trois premières œuvres faisant preuve d'une finesse remarquable et d'une personnalité affirmée : le jeu est doux mais sans fadeur, plein de poésie, mais non-dépourvu d'énergie, virtuose mais sans recherche d'effets purement démonstratifs, peut-être assez fidèle en cela à l'art de Jascha Heifetz. D'abord remarquées dans le 1er mouvement du concerto de Max Bruch, ces qualités s'épanouissent encore à travers l'adagio du deuxième mouvement, expression d'une délicate sensibilité qui finit par entraîner l'auditoire vers une sorte d'enchantement avec le second thème, sa mélodie passionnée, ses crescendo ou decrescendo continus et son émouvant pianissimo final. Si l'acoustique du lieu avec sa relativement grande hauteur nécessite une adaptation du jeu pour ne pas paraître trop lointain et faire apprécier la pureté du timbre, notamment aigus et graves, elle entraîne parfois un peu de confusion dans la perception des cordes et des tutti de l'orchestre. Cependant l'impression générale domine, d'une exécution soignée, rigoureuse qui obtient un très bon accord entre la soliste et les pupitres. Le troisième mouvement à la fois majestueux à l'orchestre et virtuose au violon (doubles, triples, quadruples cordes, staccato, gammes, intervalles …) est rendu avec succès.

Clara-Jumi Kang se trouve évidemment toute à son aise dans l'Introduction et Rondo Capriccioso de Saint-Saëns qui exige exactement les qualités dont fait généreusement preuve l'artiste : sonorité délicate, staccato pétillants mais d'un brio tout en retenue d'abord comme pour commencer par un quasi chuchotement intime ; belle envolée ensuite. L'orchestre suit avec justesse les nuances, les tempo que semble dicter la soliste. Dans les presque dernières mesures, les brefs mais ravissants traits des bois puis les roulements de timbale soulignent avec grand bonheur les ultimes séries de doubles croches du violon. Une sorte de logique historique guide la programmation du concert vers Pablo de Sarasate puisque la pièce précédente avait été composée pour lui par Saint-Saëns. La première partie du concert s'achève donc par les Airs bohémiens du compositeur espagnol. Le talent de Clara-Jumi Kang, toujours aussi grand, s'y déploie avec cette retenue remarquable qui préfère une pureté musicale, notamment rythmique presque dépouillée à un exposé spectaculaire de la profusion des staccato, pizzicato et autres chromatismes ou intervalles vertigineux. Bref, la virtuosité sous l'apparence du charme.

De tout le concert, l'Adagio pour cordes de Samuel Barber, version orchestrale de 1938, est peut-être la seule pièce qui laisse quelque peu sur sa faim. Certes, l'exécution est rigoureuse mais excès de rigueur ? acoustique un peu trop froide ? disposition des pupitres ? Toujours est-il que l'émotion recueillie qui nourrit en principe cette œuvre était insuffisamment perceptible. En revanche, Un Américain à Paris ne manque pas de la puissance et de l'éclat nécessaires. Les vents en général et les cuivres en particulier y apportent superbement leur contribution. Prolongeant l'enthousiasme des musiciens et de l'auditoire ainsi créé, le succès du bis obtenu par les rappels du public est assuré avec le Stars and Stripes Forever, version symphonique.

Les œuvres illustres au programme de ce concert sont venues conclure un festival inauguré début juillet avec l'orchestre du Capitole de Toulouse et pour la musique de chambre par le trio David Bismuth, Solenne Païdassi, Camille Thomas. Sous la direction de Vladimir Spivakov, violoniste et chef d'orchestre, indéfectible directeur artistique depuis 28 saisons du festival fondé en 1980 avec Karl Münchinger, Colmar a rendu comme il en a fait sa tradition chaque année, un bel hommage à un immense interprète du XXème Siècle.

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