Certains spectacles d’opéra, concerts ou récitals lyriques restent à jamais gravés dans la mémoire et le cœur des lyricomanes, amateurs du chant et de l’émotion qu’il dégage. Celui qu’a donné au Festival d'Aix-en-Provence Ermonela Jaho, idéalement accompagnée au piano par sa nièce Pantesilena Jaho, fait assurément partie de cette catégorie de rendez-vous uniques, qu’on chérit encore bien après que la dernière note s'est éteinte.

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Pantesilena et Ermonela Jaho au Festival d'Aix-en-Provence
© Vincent Beaume

Un an après avoir fait ses débuts au festival dans le rôle-titre de Madama Butterfly (rôle-fétiche dans lequel elle dégage régulièrement une émotion à faire pleurer les pierres), la soprano albanaise fait son retour à Aix au Conservatoire Darius Milhaud, dans l’auditorium Campra d’une capacité de 500 places, salle à l’excellente acoustique et dont la taille modeste permet une proximité privilégiée entre artistes et public.

C’est Gaetano Donizetti qui entame le programme formé d’airs de compositeurs italiens, avec son Lamento per la morte di Bellini, dédié à la grande Maria Malibran morte prématurément à la suite d’une chute de cheval. Ce passage nous confirme d’emblée les qualités de l’interprète : fine musicalité, vibrato agréable, long souffle qui autorise les plus subtiles inflexions en nuances piano, ainsi qu’une attention constante au sens donné aux mots. La souplesse de vocalisation, attendue lors de la cadence finale, n’est sans doute pas la qualité première de la soprano, mais ce chant qui vit le drame de l’intérieur nous touche profondément, comme dans La Mère et l’Enfant qui suit, en français. La grande scène finale d’Anna Bolena « Piangete voi ? (…) Al dolce guidami » nous révèle tout de même un extrême aigu parfois fugacement rebelle, avant de s’épanouir, en mezza voce ou à pleine voix.

Pantesilena et Ermonela Jaho au Festival d'Aix-en-Provence © Vincent Beaume
Pantesilena et Ermonela Jaho au Festival d'Aix-en-Provence
© Vincent Beaume

Après deux mélodies de Francesco Cilea, le grand air d’Adriana Lecouvreur « Io son l’umile ancella » déclenche un tonnerre d’applaudissements, l’auditoire ayant retenu son souffle depuis les premiers mots « Ecco, respiro appena ». Difficile d’enchaîner ensuite, mais la chanteuse a choisi son récital avec équilibre et intelligence, l’air « Lasciami, lascia ch’io respiri » de Tosti est donc bienvenu pour reprendre son souffle ! On admire ici la belle présence, le caractère du piano de Pantesilena Jaho, qui se met au complet service de la soliste, avec une évidente complicité.

Les extraits de Wolf-Ferrari et Mascagni déploient un large spectre d’ambiances et de sentiments, entre atmosphères dramatiques ou menaçantes et séquences plus légères. Puccini prend le relais, dont un brin de mélodie dans l’air « Mentía l’avviso » (1883) annonce sa future Manon Lescaut (1893). « Sogno d’or » enchaîne sans pause avec le troisième air d’opéra du récital, celui de Magda dans La Rondine « Chi il bel sogno di Doretta », aux splendides aigus tenus en même temps que la soprano lève les bras à la verticale comme pour mieux s’envoler. « Ombra di nube » du plus rare Licinio Refice est enfin dédié à Pierre Audi, directeur du Festival récemment disparu, et chanté sur le fil avec le cœur et l’âme pour conclure ce récital.

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Pantesilena et Ermonela Jaho au Festival d'Aix-en-Provence
© Vincent Beaume

Quatre airs supplémentaires d’opéra nous sont généreusement offerts en bis, d’abord l’incontournable « Un bel dì, vedremo » d’une Madama Butterfly tout sourire et encore pleine d’espoir, mais la manière dont la chanteuse respire en haletant avant les mots « un po' per non morire » nous prend à la gorge. « O mio babbino caro » de Gianni Schicchi, rare opus puccinien sans issue fatale, fait planer les aigus à haute altitude, avant la reprise de « Io son l’umile ancella », entendu un peu plus tôt. Ermonela Jaho incarne alors la comédienne Adrienne Lecouvreur, marchant de part et d’autre de la scène en chantant en toute direction… du très grand art ! L’« Ave Maria » de l’acte conclusif d’Otello de Verdi, est une fois de plus, s’il en était besoin, un modèle de musicalité, de sensibilité et de contrôle vocal qui touche en plein cœur. Assurément un très grand moment de cette édition du festival aixois.

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