En 2021, le pianiste israélien Iddo Bar-Shaï créait un festival à Chantilly, dans le cadre somptueux du château et du vaste domaine légués en 1886 par son dernier propriétaire, le duc d’Aumale, fils de Louis-Philippe, à l’Institut de France qui en assume la gestion. Il y a de quoi s’étonner que pareil site, que jouxte un célèbre hippodrome, n’ait jamais accueilli jusqu’alors de festival ou de saison de concerts.
Le premier week-end de l’automne de ces « Coups de cœur » était voué à célébrer les vingt ans du Quatuor Modigliani. Vingt ans déjà ! se dit-on alors qu'on a tant de souvenirs de cette belle équipe, d’allure toujours aussi juvénile, la même depuis 2003, à l’exception – certes notable – du premier violon Philippe Bernhard qui a laissé la place en 2016 au très talentueux Amaury Coeytaux.
Le premier concert de ce dimanche caniculaire a lieu au milieu de la « galerie de peintures » du musée Condé, seconde collection de peintures anciennes en France après le musée du Louvre –, demeurée inchangée depuis qu'elle a été accrochée (pour respecter les volontés du testateur). Idée intelligente pour le Quatuor Modigliani que celle de nous présenter en première partie leurs jeunes collègues du Quatuor Elmire, fondé à Paris en 2017, constitué des violonistes David Petrlik et Yoan Brakha, de l’altiste Hortense Fourrier et du violoncelliste Rémi Carlon.
Ces derniers n’ont pas choisi la facilité avec l’opus 18 n° 1 de Beethoven. Ils affichent d’emblée une concentration et une cohésion qu’une climatisation bruyante et une horloge indiscrète (qui retarde de surcroît !) ne semblent pas perturber. Mais l’approche du quatuor va vite paraître sérieuse, univoque, techniquement certes irréprochable, mais trop compacte dans des phrasés qui pourraient respirer plus large, notamment dans le magnifique second mouvement, un Adagio que Beethoven lui-même décrit comme « affettuoso e appassionato ». L’ensemble de surcroît sonne étonnamment mat, en particulier le premier violon qui joue pourtant sur un Vuillaume.
Le Quatuor Elmire cède ensuite la place… et son altiste au Quatuor Modigliani qui va nous offrir une vision de rêve du Quintette K516 de Mozart. Quel contraste entre les deux formations ! Le passage du quatuor au quintette n’explique pas tout : la chaleur, l’ardeur et l’onctuosité du son des Modigliani nous installent dès les premières notes au cœur de ce qui est l’un des chefs-d’œuvre absolus de Mozart, d’une amplitude peu commune (plus de 35 minutes).
On n’avait jamais perçu jusqu’à ce dimanche la proximité d’inspiration, sinon de facture, de ce Quintette avec une autre œuvre, la plus célèbre de Mozart, qui lui est postérieure d’un an (1788) et dans la même tonalité de sol mineur : la Symphonie n° 40. Dès le thème initial ascendant, les Modigliani et leur second alto font rayonner ce sol mineur d’une lumière quasi méditerranéenne, à l’instar jadis d’un Quartetto Italiano. Ils n’oublient jamais que Mozart n’a nul besoin de surlignage, ni pour le sourire, ni pour les larmes, qui constamment s’entremêlent dans l’allégresse du premier mouvement comme dans le délicat Allegretto qui suit. Ils évitent tout autant la tentation de l’expressionnisme dans l’Adagio douloureux, chanté en sourdine, qui figure en troisième position et qui se prolonge dans l’incipit du dernier mouvement. C’est un sol majeur virevoltant qui conclut l’œuvre (on n’est pas loin du finale de la Petite musique de nuit).