On a une pensée ce soir pour Pascale Honegger, décédée il y a quelques jours, après avoir toute sa vie promu intelligemment l'œuvre de son père et ardemment soutenu la cause de la musique contemporaine. Elle aurait certainement été intéressée par le programme de ce jeudi soir à Radio France, qui mêle l'œuvre-phare d'un Arthur Honegger à peine trentenaire – Le Roi David – à une création en quatre séquences – Sanctuaires – d'Othman Louati.
Dubitatif lorsqu'on perçoit dans les couloirs puis dans l'enceinte de l'auditorium de la Maison de la radio et de la musique de discrets bruits électroniques qui ne dépareilleraient pas l'entrée d'un spa oriental, on devient vite convaincu de la pertinence de cet ajout à un monument de la musique chorale qui nous paraît, un siècle après sa création, singulièrement daté. Othman Louati l'annonce lui-même, il a conçu les quatre courts numéros de ses Sanctuaires comme des intervalles de « respiration » spirituelle, comme un rituel, entre les épisodes très contrastés de la pièce d'Honegger. Le raffinement d'une écriture très française et la combinaison discrète avec l'électronique sont particulièrement bienvenus pour compléter et même adoucir les contours abrupts du Roi David.
Ce Roi David fait partie de ces œuvres qu’on respecte pour leur place dans l’histoire de la musique, surtout dans cette première partie du XXe siècle où fleurissaient oratorios ou musiques de scène avec récitant signées Milhaud, Stravinsky ou Debussy. Créée en 1921 à Lausanne, conçue à l’origine comme musique de scène pour un mystère biblique du Suisse René Morax, puis remaniée en oratorio, la partition a fait la gloire du compositeur franco-suisse. Un siècle plus tard, elle reste un jalon du répertoire choral francophone, mais son mélange d’archaïsme biblique, de pastiche néo-baroque et le texte de Morax n'a plus guère de séduction pour le public d'aujourd'hui. C'est sans doute plus par la présence à l'affiche de Lambert Wilson et d'Amira Casar qu'on explique la belle jauge de l'auditorium.
En tout cas, on ne fera pas le reproche aux interprètes d'avoir manqué d'engagement et de conviction dans la défense et l'illustration de cette partition hybride. De la première invocation des Prophètes à l’éclat martial des batailles, des murmures douloureux de la pénitence aux hosannas finaux, le Chœur de Radio France se montre à son meilleur pour incarner tout à la fois le peuple, l’Histoire et la transcendance. La justesse, l’articulation exemplaire et la projection homogène du chœur créent un théâtre sonore qui ne manque pas de panache.
Pour l'occasion, le chef du Chœur de Radio France, Lionel Sow, a fait appel à un formidable ensemble instrumental, Les Apaches, dirigé en temps normal par son fondateur, le chef Julien Masmondet. Dans une écriture souvent très stravinskienne, où chaque soliste est particulièrement sollicité, les 18 instrumentistes – vents, claviers, percussions, un seul violoncelle – forment un contrepoint tour à tour poétique, élégiaque ou triomphal à la déclamation du récitant et aux proclamations du chœur. Pourtant l'ensemble n'échappe pas à un sentiment d'uniformité. Une direction plus contrastée, plus creusée aurait sans doute pallié ce défaut.

Parmi les quelques interventions vocales solistes, on retient plus particulièrement celle de la contralto Cornelia Oncioiu, qui donne au chant de la servante un sombre relief, et qu'on entendrait volontiers plus longuement dans Mahler. Les spectateurs qui seraient venus pour Amira Casar sortiront en revanche frustrés de la brièveté de sa prestation, même si son incarnation de la Pythonisse d'Endor, dans une séquence dramatique et musicale étonnante, sorcellerie et hallucination mêlées, aura marqué l'auditoire.
Aucune frustration en revanche du côté de Lambert Wilson, dont on sait qu'il affectionne particulièrement ces rôles de récitant dans des œuvres classiques. Le comédien renoue avec le théâtre antique et avec un art de la déclamation qui surmonte les écueils d'un texte amphigourique, dont on a du mal à se représenter le succès qu'il obtint dans sa version initiale de quatre heures !

