On ne présente plus aux pianophiles cette immense grange du XIIIe siècle, à laquelle on accède en passant sous un impressionnant portail fortifié. C’est ici, au beau milieu de la campagne tourangelle, que Sviatoslav Richter tomba sous le charme des lieux et décida en 1963 d’y implanter un festival. Si les premiers concerts l’année suivante eurent lieu à même la terre battue du vieil édifice, la Grange de Meslay est rapidement devenue une institution dans laquelle les plus grands artistes – et notamment les plus grands pianistes – se produisent chaque année.

Récital de piano à la Grange de Meslay © Gérard Proust
Récital de piano à la Grange de Meslay
© Gérard Proust

Cela fait désormais soixante ans que cela dure et, pour célébrer ce beau chiffre, le festival dirigé par René Martin a mis les petits plats dans les grands. Le week-end d’ouverture est fidèle à l’esprit de Richter qui cherchait à « présenter l’élite » aux spectateurs, comme nous le confiait le directeur artistique : l’Américain Jonathan Biss, le Russe Dmitry Masleev et le Japonais Masaya Kamei brosseront en trois jours et trois récitals un impressionnant panorama du piano international. Le premier, « possédé par le texte », selon Alain Lompech qui est allé le voir jouer à domicile à Philadelphie pour se rendre compte du phénomène, interprètera les deux dernières sonates de Schubert ; vainqueur du Concours Tchaïkovski en 2015, le deuxième proposera un récital dans sa langue natale, de Tchaïkovski à Rachmaninov en passant par Glinka, Balakirev et Moussorgski ; le troisième est un jeune talent à découvrir, dont le programme hautement virtuose (Gaspard de la nuit de Ravel, Islamey de Balakirev…) ne manquera pas de susciter la curiosité.

À l’autre bout des festivités, le dimanche de clôture proposera l’intégrale des concertos pour piano de Beethoven (dans des transcriptions pour piano et quintette à cordes de Vinzenz Lachner), par un joli quatuor de pianistes français : Tanguy de Williencourt, Nathanaël Gouin, Jonas Vitaud et Jean-François Heisser. Et les quatre mousquetaires concluront ensemble, dans des variations ludiques (conçues par Heisser) qui passeront en revue l’intégralité des neuf symphonies de Beethoven !

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Sviatioslav Richter supervisant The Burning Fiery Furnace de Britten en 1979
© Gérard Proust

Cette dernière journée n’aura pas lieu à la Grange de Meslay mais au Nouvel Atrium de Saint-Avertin, de l'autre côté de Tours et de la Loire, au bord du Cher. C’est une des caractéristiques de ce soixantième anniversaire : le festival rayonnera bien au-delà de son terrain de jeu habituel, la majeure partie des concerts prenant place hors les murs de la Grange. La diversité des sites répondra à la diversité des répertoires abordés : le concert baroque de la violoncelliste Hanna Salzenstein (membre du fameux collectif Le Consort) aura ainsi lieu sous la belle charpente de la vieille Chapelle Saint-Libert à Tours, tandis que les expérimentations singulières du violoncelliste Paul Colomb, entre touches électro et sonorités indiennes, se dérouleront au Centre de Création Contemporaine Olivier Debré.

Le lendemain, Paul Colomb évoluera au sein de son quintette de violoncellistes (avec Michèle Pierre, Frédéric Deville, Justine Metral et Louis Rodde) dans un autre haut lieu de Tours : le MAME, la cité de la création et de l’innovation, une friche industrielle réhabilitée en 2019 après avoir été un joyau de l’architecture des années 1950 (Grand Prix de l’architecture industrielle à Milan en 1954). Ce site singulier abritera 24 heures plus tard un spectacle particulièrement créatif, conçu et narré par le pianiste Pascal Amoyel qui explorera les trente-deux sonates de Beethoven et, à travers ce corpus, la vie et les mystères de l’art du compositeur.

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Marie-Ange Nguci à la Grange de Meslay, 2023
© Gérard Proust

Tout en osant des formes spectaculaires originales bien loin du foin qui séchait sous la charpente rustique de la Grange de Meslay dans les années 1960, le festival reste fidèle à ses origines et à la personnalité de son fondateur : fidèle à la prédilection de Sviatoslav Richter pour Chopin, dont Marie-Ange Nguci donnera les deux concertos en un concert, accompagnée du Sinfonia Varsovia String Quintet ; fidèle à la passion qu’avait le pianiste russe pour le chant et la musique de chambre, à travers d’une part le récital que donneront la basse Alexander Roslavets et le pianiste Andreï Korobeïnikov, d’autre part le concert du Trio Wanderer, qui interprètera deux des plus fameux trios de Beethoven.

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Festival de la Grange de Meslay
© Gérard Proust

Toujours soucieux de la transmission du savoir musical en général et pianistique en particulier, René Martin accorde enfin une belle place aux master classes : professeur au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris en piano et en musique de chambre, Claire Désert donnera une journée de cours publics aux élèves de la région à l’Espace Malraux de Joué-lès-Tours, au bord du lac des Bretonnières, avant de se produire elle-même dans un récital qui ira de Beethoven à Bartók. Beau symbole d’un festival qui, du haut de son âge vénérable, ne cesse pas de se renouveler en se tournant vers les générations futures.


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Cet article a été sponsorisé par le Festival de la Grange de Meslay.