Quelle chance ! Il suffit de passer les portes du magnifique bâtiment de l’Opéra Comique, d’entendre les ouvreuses vendre les programmes comme au bon vieux temps, de contempler les fresques Art Nouveau pour savoir que nous allons passer une soirée mémorable.
Et mémorable cette soirée le fût ! Tout d’abord, il faut absolument dire deux mots sur l’Opéra Comique et sa programmation : il y a une réelle vision dans cette institution, une vraie direction artistique. L’alternance d’œuvres du répertoire avec d’autres moins connues, les moments de réflexion engendrés par les colloques, les présentations des œuvres quarante minutes avant les représentations font de cette institution un lieu inévitable pour le mélomane qui veut aller un peu plus loin que la consommation des incontournables de l’opéra ou de la symphonie.
Le spectacle de ce soir était un parfait exemple de ce que l’on peut trouver de mieux en matière de production parfaitement construite et structurée. La conjugaison de L’Histoire du Soldat (de Stravinsky, sur un texte de Ramuz) avec L’Amour Sorcier (de Manuel de Falla, sur un texte de Gregorio Martinez Sierra) était évidente. Les deux histoires mettent en scène des pactes avec le diable : le soldat pour trouver la richesse au détriment du bonheur, la Gitane Candelas pour reconquérir un amour perdu. Il a même été question de supprimer l’entracte pour conserver la cohérence entre les deux œuvres. Et il est vrai que les deux fonctionnent très bien ensemble : similaires par le thème, elles sont mises en musique par deux compositeurs très concernés par la mise en valeur de leur musique nationale, ce qui créé un contraste absolument saisissant, entre la musique russe et la musique espagnole.
Le dispositif scénique était relativement simple : les musiciens dans la fosse ; récitant, comédiens et danseurs sur scène, comme un ballet en deux actes. Au son des premières notes de L’Histoire du Soldat, une grande cage en plexiglas est amenée sur scène. Elle contient le soldat. Autour de lui, le récitant récite, les danseurs s’agitent frénétiquement. Entre le grand cube de la scène et le petit cube du soldat, deux temporalités se chevauchent dans un parallélisme qui ne se rompt qu’à la fin, quand la princesse vient rejoindre le soldat dans sa cage de verre, dans une fin heureuse mais douce amer. Cette musique, d’une redoutable difficulté, a été exécutée parfaitement, et il n’y a pas d’autres mots pour le dire. Alors que d’ordinaire la difficulté technique bride un peu les élans musicaux des interprètes, ici les musiciens ont réussi à faire vivre cette musique avec beaucoup d’émotions. Nous pouvons retirer notre chapeau aux danseurs et au chorégraphe Jean-Claude Gallotta : il est rare de trouver une aussi parfaite et intelligente synchronisation entre la musique et la danse, et de faire des danseurs un véritable décor organique et quasiment animal.