En résonance à l’exposition Icônes de l’art moderne, la collection Chtchoukine à la Fondation Louis Vuitton, Pierre-Laurent Aimard, avec la complicité de quatre autres pianistes - Tamara Stefanovitch, Nenad Lečić, Lorenzo Soulès et Fabian Müller - propose un long weekend de concerts articulés autour de Debussy et Ravel, mis en regard avec l’avant-garde russe.
Le projet s’attache à faire dialoguer la musique avec la peinture pour nous immerger dans une époque, celle des ballets russes de Diaghilev, du scandale du Sacre et du Carré noir sur fond blanc. Période charnière, à la recherche d’un nouveau langage pour de nouvelles aspirations, qui déconstruit la forme et la couleur, en même temps qu’elle repousse en musique les limites de la tonalité pour bientôt la dépasser. Entre déconstruction et synthèse, entre élan et théorisation, entre révolution sociale et quête spirituelle, les avant-gardes russes s’inscrivent dans la filiation des avant-gardes françaises, et la modernité des Matisse, Gauguin ou Picasso ne cessera de les nourrir.
Si la musique n’est pas un calque de la peinture, les disciplines s’influencent pour entrer en résonance mutuelle, et le mérite de ce cycle de concerts est d’opérer des rapprochements entre les œuvres et les tableaux, entre les compositeurs et les peintres, rapprochements parfois redevables de la distance historique, mais rendus souhaitables et inévitables par la proximité des œuvres de la collection Chtchoukine. Construits autour de thématiques comme les images, les illuminations, ou les mondes d’hier et de demain, les concerts feront dialoguer Debussy, Ravel, Prokofiev, Stravinsky, Scriabine, Honneger, et des précurseurs moins connus mais passionnants par leurs audaces : Alexandre Mossolov, Nikolaï Roslavets et Nikolaï Obuhov. Ce dernier compositeur, dont le mysticisme mégalomane peut évoquer Malévitch, sera une révélation, par son langage harmonique inouï préfigurant Messiaen dans le Couronnement pour piano solo et La Création de l’or 1 et 2 pour deux pianos.
Les œuvres proposées ce premier soir par les pianistes Tamara Stefanovich et Nenad Lečić dans des transcriptions pour deux pianos ont en commun la date de leur création, 1911 pour Prométhée ou le Poème du feu de Scriabine, et 1913 pour Le Sacre du printemps de Stravinsky et les Jeux de Debussy, écrits tous deux pour les ballets russes de Diaghilev. Avec des techniques pourtant bien différentes, le son des deux pianistes dans Jeux est homogène et semble couler avec une grande fluidité. La palette d’intensité est toutefois trop restreinte, et s’élargie seulement à la toute fin avec des pianissimos à la limite de la rupture.