Que faire quand deux pianistes de premier plan se produisent le même soir à Paris ? L'un est très connu et fort justement, l'autre beaucoup moins, ce qui ne durera évidemment pas. Lukas Geniušas se produisait donc dans l'écrin de la Salle Cortot, dont on ne nous empêchera pas de penser qu'il est bien trop petit pour un si grand talent – mais bravo à qui l'invite ! –, tandis que Leif Ove Andsnes était à la Philharmonie, de nouveau invité par l'Orchestre de Paris et Klaus Mäkelä son directeur musical. Nous étions resté sur un concerto de Mozart qui avait franchement déçu, tant Andsnes en avait occulté le chant au profit d'un exposé ferme et sec des phrases mozartiennes qui évoquent pourtant Les Noces de Figaro. Mais ce soir, Andsnes joue le fameux « Rach 3 » qui n'a jamais autant été joué et enregistré que depuis vingt ans – assez souvent de façon inintéressante, d'ailleurs. Avec ces deux-là, on se doutait bien qu'on allait se tenir loin de tout épanchement orchestral comme de toute vulgarité pianistique. Et l'on n'a pas été déçu.
Quand Andsnes égrène la mélodie toute simple dont vont découler de façon inexorable les près de quarante minutes du Concerto n° 3, on est surpris par le son franc, un peu petit, qui sort d'un instrument dont on se dit qu'il a été harmonisé pour sonner clair et brillant, un peu à la façon des Steinway américains et des glorieux Chickering que Rachmaninov aimait tant. Et dans le même temps, on apprécie tout de suite cette simplicité, cette droiture qui efface le souvenir des contorsions et le tempo beaucoup trop lent d'Evgeny Kissin dans le même concerto tout récemment. Revenir ainsi à la source de l'œuvre et de son interprétation par le compositeur lui-même n'a pas de prix.
Car le pianiste norvégien et le chef finlandais sont sur la même longueur d'onde : avancer, faire entendre la polyphonie dans l'orchestre, équilibrer les masses, mais avancer sans arrêts sur image expressifs vers le climax du premier mouvement qui précède la cadence. Peu à peu, le son du piano s'ouvre ; Andsnes projette son jeu avec toute la puissance, la concentration requise, mais aussi avec la subtilité de phrasés qui semblent évidents, couler de source, gommant presque la difficulté d'une œuvre pourtant aussi difficile qu'harassante. Et jamais l'orchestre ne le couvre, bien au contraire Mäkelä est à son écoute et le porte.