Mercredi soir, le mélomane parisien ne savait pas où donner de la tête : tandis que La traviata du tandem Warner-Rhorer connaissait sa première représentation au Théâtre des Champs-Élysées, la Cité de la Musique accueillait le rare Tarare de Salieri, mené par Christophe Rousset. Comparé à ces événements lyriques, le concert donné quelques mètres plus loin à la Philharmonie avait des allures de vieille rengaine pour aficionados du répertoire symphonique : avec le Concerto pour violon de Beethoven et la Symphonie n° 1 de Mahler, le programme de l’Orchestre de Paris sentait le déjà-entendu. Et pourtant… Ceux qui ont manqué cette soirée pourront s’en mordre les doigts, tant l’intelligence et la ferveur de l’interprétation ont apporté un passionnant éclairage sur ces œuvres.
Quand retentissent les cinq coups de timbales qui ouvrent le concerto, on sent confusément que cette soirée ne sera pas comme les autres. L’opposition tranchée entre le grondement sourd des mailloches et la transparence des bois annonce une maîtrise parfaite des contrastes qui font l’essence de l’œuvre : l’esprit militaire contre la galanterie mélodique, le romantisme révolutionnaire contre l’élégance classique. À lui seul, Daniel Harding incarne parfaitement cette lutte : la classe de sa baguette, inégalable quand il s’agit de dessiner un phrasé harmonieux, va de pair avec une sècheresse du geste qui lance formidablement les tutti guerriers. On retrouve ce contraste dans le jeu d’Isabelle Faust. Ses arabesques mélodiques rayonnent au-dessus de la mêlée mais elle est également capable de frénésie violonistique : dans la cadence du premier mouvement (tirée de la version pour piano de Beethoven), elle fait crépiter ses doubles cordes sur fond de timbales martiales.
Si le violon de Faust n’est pas des plus puissants, ce n’est pas un inconvénient dans l’œuvre de Beethoven, au contraire : son timbre diaphane reproduit à s’y méprendre les caractéristiques violonistiques de Franz Clement, premier interprète du concerto, réputé pour son expressivité dans le registre suraigu de l’instrument. Soignant toujours la justesse et l’articulation de sa main gauche, Faust prend en revanche des risques gigantesques avec son archet : alors que les cordes gagnent les pizzicati scintillants du mouvement lent, la violoniste se met à jouer les funambules dans un pianissimo impalpable. Audacieux, ce jeu en apesanteur permet un effet saisissant au moment de la bascule vers un finale enlevé, réjouissant par son caractère espiègle. L’œuvre s’achève dans la bonne humeur générale. Jouant avec partition et non par cœur, Faust cultive jusqu’au bout un jeu chambriste plus que soliste, se tournant régulièrement vers l’orchestre ; les musiciens de la phalange parisienne montrent en retour une implication de tous les instants, depuis le timbalier solo jusqu’au couplet complice du basson dans le finale.