La création d’une cellule chorégraphique, vouée à faire émerger les talents au sein de l’Opéra de Paris, mais aussi la carte blanche laissée à quatre d’entre eux le temps d’une soirée, ont sans doute fait partie des plus précieuses idées de l'ancien directeur artistique du ballet Benjamin Millepied. Ces initiatives n’auront malheureusement duré qu’une courte saison, et ne seront pas reconduites l’an prochain.
Sébastien Bertaud, Simon Valastro, Bruno Bouché et Nicolas Paul, tous les quatre sujets de l’Opéra de Paris, portent l’empreinte de l’institution mais aussi des chorégraphes qui l’ont marquée – de George Balanchine à William Forsythe, en passant par Mats Ek. Simon Valastro, le moins expérimenté d’entre eux en matière de création chorégraphique, est paradoxalement celui qui s’affranchit le mieux de ces références, en proposant une œuvre plus personnelle et d’une véritable densité intellectuelle. Ce champ libre est bien sûr une prise de risque, avec des œuvres d’intensité et de profondeur variées qui départagent très nettement leurs chorégraphes.
Le programme s’ouvre sur Renaissance, une création néoclassique de Sébastien Bertaud. L’œuvre est une mise en abyme de l’Opéra de Paris, avec pour toile de fond le faste du Grand Foyer et pour accompagnement musical la pompe emphatique du Deuxième Concerto pour piano de Mendelssohn-Bartholdy. L’Opéra de Paris est représenté dans son état actuel : glorification de l’institution, éclat de la technique française, proximité avec le monde de la mode et du luxe. La chorégraphie, dont les emprunts à William Forsythe ne sont que trop visibles, n’est pas particulièrement remarquable mais pousse la technique à l’extrême. Sébastien Bertaud s’entoure ainsi des interprètes les plus virtuoses du Ballet, avec trois techniciennes magistrales : Dorothée Gilbert, Amandine Albisson et Hannah O’Neill. La minute-éclair de Marion Gautier de Charnacé est également une intéressante découverte. Mais on note surtout la superbe performance de Pablo Legasa, fluide et incarnée.
The Little Match Girl Passion de Simon Valastro sur la musique éponyme de David Lang, est sans aucun doute le moment le plus intéressant de cette soirée. En 2007, le compositeur avait proposé une relecture christique du conte d’Andersen, établissant un parallèle entre la Passion et le martyr de la Petite Fille aux Allumettes. Dans une scénographie sublime et mystique, Simon Valastro multiplie les citations chrétiennes – costumes austères et orthodoxes, dichotomie entre blanc et mort, lumière et obscurité, neige et feu – et développe un vocabulaire chorégraphique évoquant la crucifixion et la Pietà (ici inversée, puisque c’est la Petite Fille qui git). Simon Valastro explore intelligemment la notion de conte, en composant un véritable conte dansant, où l’action est racontée sur scène par les quatre chanteurs-conteurs, tandis que la danse s’en tient à un rôle d’illustration des paroles.