Fazıl Say « par l’auteur », (K)ein Sommernachtstraum d’Alfred Schnittke, Messiaen et Chostakovitch. Tout un programme ! Deux traitements des consonances radicalement opposés : musique de la réclusion pour Schnittke, de l’échappée chez Say. Un programme exemplaire, et une salle qui aurait mérité d’être pleine.
(K)ein Sommernachtstraum débute au beau milieu d’un monde cartoonesque, peuplé d’harmonies inoffensives ; sorte de concerto de Corelli dans lequel on aurait maladroitement placé un piano aux côtés du clavecin. Mais Schnittke abuse l’auditeur en les faisant tourner au cauchemar ; celui qui pénètre sa ménagerie doit abandonner tout espoir de se promener dans un espace familier et rassurant. Disc-jockey avant l’heure, Schnittke construit une deuxième œuvre sur la première : bric-à-brac fellinien où les archets patinent aléatoirement sur la corde, où les timbales miaulent. Chacun des objets est reconnaissable ; leurs images sont fidèles et non équivoques ; c’est leur disposition (pour ne pas dire leur superposition) qui surprend. Toute l’œuvre joue sur le doute de l’auditeur, feint de s’ignorer, avant que ne soit atteint un point de non-retour harmonique. Musique où affleure le second degré, tirant tout son relief de l’absurde : elle est à la fois conscience de son aliénation et mouvement pour la briser. Mais c’est cette duplicité qui est féconde.
Si le dépaysement est l’une des constantes de l’univers de Fazil Say, Water en est sans doute la plus fidèle incarnation. Construit en triptyque, ce concerto pour piano chemine vers un paradis sensible peuplé de chinoiseries. Spirale et en perpétuel roulement, l'écriture s’approprie ce sens de la litanie qu’a retenu le jazz moderne (motifs cycliques « à la Seven seas », chaque fragment est répété deux fois). C’est une musique au caractère fortement improvisé ; loin d’un art-pour-art, elle imite les couinements de la vie organique. Musique de la sur-verbalisation : aucun « cui-cui » n’est laissé à l’état latent, car les musiciens sont munis d’appeaux et autres gris-gris en lien direct avec chasse, pêche et nature. Certes, il lui arrive de forcer l’exotisme, notamment dans l’usage de pentatoniques, ou ces violons qui crient haro ; mais de ces clameurs, il fait une étonnante marqueterie.
Dès le second tableau, Green Water, Fazil Say met les mains sous le capot. Des élans mouillés se mêlent aux claquements du cymbalum (la main droite sert d’étouffoir aux cordes du piano). Charon rame sur la fontaine des larmes du Château de Barbe-bleu. Musique un peu dolente de persuasion : la main est jetée sur les touches, le musicien se love au creux du phrasé, en caresse virtuellement la courbe.