Dans le cadre imposant de son abbaye cistercienne, la Fondation Royaumont accueille musiciens et danseurs du monde entier. Outre les résidences d’artistes, elle propose parmi un florilège de concerts et de disciplines à visée pédagogique un programme « claviers » autour du répertoire et de la facture instrumentale du XVIIe au XIXe siècle.
Dans cette ultime édition du programme toujours organisé avec élégance et efficacité par Sylvie Brély, une journée consacrée à Bach, Telemann et leurs contemporains a pu faire entendre la copie du clavecin Vater commandée par la Fondation au facteur Emile Jobin et un pianoforte d’après Silbermann réalisé par Kerstin Schwarz. Telemann a en effet séjourné à Paris en 1737 chez le facteur d’origine allemande Vater, Bach a connu et (après quelques réticences) apprécié l’instrument de Silbermann ; ces éléments organologiques formaient ainsi le fil rouge de plusieurs concerts jusqu’au cœur de la nuit.
En prélude à L’Offrande musicale de Bach prévue à 22h, le claveciniste Philippe Grisvard a su charmer un auditoire particulièrement silencieux et attentif. Les compositeurs nombreux à son programme figuraient la descendance musicale du Cantor, future école de Berlin réunie autour du roi Frédéric II, ami des arts. La Cour du palais de Postdam était en effet un laboratoire de création extraordinaire qui a pu – en dépit du goût passablement conservateur du monarque – réunir une pléiade d’artistes novateurs : Nichelmann fut élève de Wilhelm Friedemann Bach et partagea dans des conditions houleuses le poste de claveciniste de la Cour avec Carl Philipp Emanuel Bach, Schulz étudia avec Kirnberger et ce dernier probablement avec Johann Sebastian Bach. Marpurg, grand admirateur de Rameau fut l’un des piliers de cette nouvelle esthétique de l’école de Berlin et Fasch succéda à Nichelmann comme second claveciniste de la Cour.
Le programme d’une belle cohérence est détaillé par les doigts experts de Philippe Grisvard avec une assurance et un art des contrastes absolument épatants. Après un brillant prélude de Kirnberger dont la basse d’Alberti décline d’expertes modulations, Grisvard fait chanter un clavier où la sûreté du phrasé le dispute à la science des couleurs. La maîtrise des plans sonores dans la fugue de Carl Philipp, la subtilité des nuances dans la virtuose Fantaisie de Nichelmann, les accents sensibles de L'Antoine de Fasch révèlent un musicien d’une parfaite élégance. Grisvard sait ménager ses effets dans l’innocente invention en forme de prélude de Nichelmann, dont le développement dramatique inattendu est très habilement conduit.
L’instrument permet de nombreuses registrations dont la plus étonnante reste le jeu de « pantaléon » ; la sonorité argentée rappelle tout autant le clavecin que les résonances typiques du tympanon, instrument déjà très à la mode à la cour de Louis XIV. Ce jeu fait sentir la filiation entre le clavecin à cordes pincées et les développements futurs du pianoforte. Ses possibilités expressives sont pour l’occasion particulièrement mises en valeur par l’interprète qui n’hésite pas à l’utiliser comme couleur dominante dans la plupart des pièces de son passionnant récital.