Dans le programme du concert donné au Théâtre des arts de Rouen, Ben Glassberg le dit sans ambages, il admire Stephen Hough depuis l'enfance : « c'était un rêve pour moi de le diriger ». Après Benjamin Grosvenor, invité l'année passée, la capitale normande a bien de la chance... En voisin, on espère que le directeur musical de l'Opéra de Rouen Normandie aura l'idée d'inviter l'Américain Jonathan Biss dont les concertos de Beethoven et de Mozart s'imposent aux États-Unis comme en Europe – sauf en France, alors que ce pianiste quadragénaire qui a succédé au légendaire Rudolf Serkin à l'Académie de Marlboro est un des artistes majeurs de notre époque.
Glassberg souhaitait diriger Hough dans le Concerto n° 4 de Rachmaninov que le pianiste britannique, récemment anobli par Elizabeth II, a enregistré dans le cadre d'une intégrale de l'œuvre concertante du compositeur... américain qui lui a valu des récompenses (Hyperion) pour ses qualités musicales et son souci musicologique : le chef Andrew Litton et son soliste ont bénéficié des ultimes corrections faites par le compositeur et pianiste pendant les séances d'enregistrement de ce concerto avec l'Orchestre de Philadelphie et Eugène Ormandy, le 20 décembre 1941. Plusieurs fois repris depuis sa création en 1927, en raison de l'accueil très froid du public et de la critique, ce concerto est – hélas ! – toujours et encore mal aimé.
L'Orchestre de l'Opéra de Rouen Normandie et l'Orchestre régional de Normandie réunis, Ben Glassberg et Stephen Hough ont une compréhension profonde de ce Concerto n° 4, comme Arturo Benedetti Michelangeli en son temps ou Nelson Freire plus récemment qui plaçaient eux aussi très haut cette œuvre dans leur panthéon personnel sans forcément toujours trouver un chef à l'unisson. Ce soir à Rouen, comme on l'imagine à Évreux où ce concert a aussi été donné, l'interprétation acérée, la couleur orchestrale scintillante, des vents virtuoses, prenant et assumant tous les risques, des cordes alertes et engagées forment un tout insécable avec le grand Yamaha CFX que le pianiste fait sonner comme un Steinway américain ou un grand Érard cordes parallèles des années 1920. C'est stupéfiant d'entendre un instrument dont les graves sont impériaux et toujours transparents, le médium acéré et coloré, les aigus d'argent et de constater qu'il passe toujours par dessus l'orchestre sans pourtant que le pianiste force.