Posé sur une estrade installée dans un des angles du déambulatoire de Silvacane, l'une des trois grandes abbayes cisterciennes du sud est de la France, avec celles du Thoronet et de Sénanque, le grand Steinway de concert attend Iddo Bar-Shaï, habitué du Festival de piano de La Roque-d'Anthéron qui en est à sa 37e édition.
Nous ne sommes ni dans une salle fermée, ni en plein air, mais sous les voûtes de ces longs couloirs qui ferment le jardin où les moines cultivaient les simples les plus précieuses dont ils faisaient onguents et remèdes. Le mistral qui souffle fort laisse en paix le public nombreux qui a pris place : si nombreux que des auditeurs se sont installés dans l'embrasure des arcades. Le pianiste s'installe, assis haut sur sa banquette, et sans attendre joue la première des dix mazurkas de Chopin qu'il interprètera en deux groupes encadrant la Polonaise-Fantaisie op. 61. Pièce qui n'est ni vraiment une polonaise ni vraiment une fantaisie, chef-d'œuvre d'ambiguïté harmonique et rythmique merveilleusement enchâssée dans un écrin de danses qui n'en sont pas réellement, dont rythmes et tonalités se jouent des canons académiques et ouvrent grandes les portes de mondes sonores inouïs qui fascineront les musiciens des temps et à venir. « Méfiez-vous d'un musicien qui vous dira ne pas aimer Chopin », disait Wilhelm Furtwängler, auquel Pierre Boulez fera écho en chérissant ce « compositeur révolutionnaire ».