Belle occasion d'entendre lors du Festival de Lucerne, samedi 3 septembre, la virtuosité méticuleusement étudiée, ô combien chaleureuse cependant, d'Iveta Apkalna. Programme riche, cohérent, autour de la sonate pour orgue. En ouverture, la Sonate n°4 op. 65 de Mendelssohn représentant les deux visages du concert entier : d'un côté, la mise en valeur de l'esthétique symphonique de l'instrument, notamment avec la Sonate "Ad patres" du compositeur lituanien contemporain Bronius Kutavičius et la Sonate sur le psaume 94 du jeune élève de Liszt décédé à 24 ans, Julius Reubke. De l'autre, le style baroque, avec Bach : la Sonate en trio n°3 et la Fantaisie en sol majeur BWV 572, au cœur du récital.
Iveta Apkalna s'est souvent exprimée en faveur des orgues de salles de concert qu'elle souhaite promouvoir encore davantage. En concert au Centre Culture et Congrès de Lucerne (KKL), elle a pu se produire sur le magnifique orgue Goll (66 jeux, 4 claviers et pédalier, extrêmement équilibré), un instrument admirablement symphonique, également capable de sonner authentiquement baroque.
La Sonate pour orgue n°4 de Mendelssohn, annonciatrice de l'esthétique romantique, trouve là un cadre privilégié. L'agilité de l'Allegro con brio, au 1er mouvement, réside moins dans la résonance amplifiée - imitant les voûtes d'une église - que dans la précision du toucher, du rythme, dans le subtil équilibre des sonorités. Vient ensuite le second thème qui n'est peut-être pas sans évoquer le Prélude BWV 552 de Bach. L'Andante religioso approche un tempo de marche ; l'accentuation y est adoucie par le legato, ce qui permet d'en apprécier les séduisants mouvements mélodiques. Iveta Apkalna interprète l'Allegretto avec délicatesse, telle une Romance sans Paroles ; le rapprochement, souvent effectué, est ici pleinement justifié. Dans le final, Allegro maestoso e vivace, elle fait jouer toute la puissance de l'orgue, faisant montre d'une grande clarté, de beaucoup d'agilité au pédalier. Iveta Apkalna parvient à faire ressentir la solennité, l'harmonie propres à ce mouvement, sans boursoufflure.
La pièce pour orgue "Ad Patres" de Broniaus Kutavičiaus, renvoyant à des funérailles, est construite sur une triple progression lente et régulière. Elle commence par un faible bourdonnement dans les graves, puis va cheminer d'un extrême à l'autre : des octaves inférieures aux plus élevées, du pianissimo au fortissimo, d'accords dépouillés vers une complexité harmonique croissante. L'ensemble est riche des influences de la musique russe de la première moitié du 20ème siècle, comme de la musique répétitive. On peut y reconnaître, en partie, le premier Philippe Glass, compositeur par ailleurs présent au répertoire d'Iveta Apkalna. Le final s'arrête brusquement au sommet d'une progression, la musique laissant soudain place au silence, sans cadence : un effet des plus impressionnants, sublimé par l'autorité de l'interprétation.