Depuis qu’il en a repris les rênes en 2009, l'ex-trompettiste et ethnomusicologue Bruno Messina a fait du Festival Berlioz qui se tient chaque été à La Côte-Saint-André (Isère), ville natale du compositeur, un festival comme on aimerait en voir davantage : ambitieux mais pas prétentieux. Son ambition consiste à offrir à un public venu à 70% du département de l’Isère même (et à 90 % de la région PACA), des programmes qui n’ont rien de facile, réunis cette année sous le titre berliozien Des milliers de sublimités. On honore évidemment l’illustre enfant du pays qui figure à l’affiche de près de la moitié des concerts, mais on veille tout autant à offrir à ce public si réceptif et si disposé à partir à l’aventure un répertoire de haute tenue, souvent exigeant et rare (Mozart et Beethoven sont bien sûr là, mais Messiaen et Xenakis aussi), toujours offert dans des exécutions de grande qualité et – c’est important – à des prix abordables. Ajoutons une organisation impeccable, portée pour bonne part par pas moins de 130 volontaires enthousiastes, et une absence appréciable de ce chic festivalier qu’on retrouve à d’autres endroits : on ne débarque pas ici en smoking ou en robe longue, mais les spectateurs de tous les âges arrivent détendus, souvent en famille, faisant preuve d’une saine curiosité et d’une écoute invariablement respectueuse.
Dans les hauteurs de la ville, c’est un chapiteau installé dans la vaste cour du Château Louis XI et offrant 1200 places qui accueille dans de très bonnes conditions acoustiques et de confort les concerts symphoniques et les opéras donnés en soirée.
Parmi ceux-ci, les deux concerts du lundi 22 et du mardi 23 en disaient long sur la qualité et l’originalité de la programmation. Le premier, intitulé De Rameau à Ravel et confié à l’excellent ensemble Les Siècles sous la baguette de son directeur musical François-Xavier Roth mêlait en effet au cours d’une même soirée l’inconnu, le rare et le célèbre. L’inconnu, c’était une suite d’orchestre tirée de la pastorale héroïque Daphnis et Églé de Rameau, une rareté dont malheureusement le programme ne disait absolument rien – les notices sur les œuvres figurant dans les programmes offerts au public gagneraient à être plus fouillées. En tout cas, l’œuvre fut interprétée avec beaucoup d’allant, de grâce et d’énergie par l’ensemble jouant debout (sauf les violoncelles) sous la battue souple du chef, et permit d’apprécier la richesse de l’orchestre ramiste notamment dans les bois (4 bassons, 4 flûtes, 2 hautbois, clarinette) et côté continuo (clavecin et un polyinstrumentiste alternant théorbe, archiluth et guitare).
La rareté, c’était la magnifique cantate Cléopâtre de Berlioz interprétée par une Joyce DiDonato magistrale. On ne sait qu’admirer le plus ici : la richesse du timbre, l’égalité absolue des registres, la diction impeccable ou les dons de tragédienne de la mezzo américaine au sommet de son art. La soirée se termina par une exécution intégrale (quoique sans chœurs) de Daphnis et Chloé de Ravel. On sait à quel point le choix de l’orchestre de recourir aux instruments d’époque (flûtes aériennes, hautbois légèrement acide, bassons français, cor solo souverain, beaux timbres des trompettes avec sourdine) aide à la transparence du tissu sonore par la juxtaposition naturelle des timbres. Mais les meilleurs musiciens tourneraient ici à vide sans un chef de la trempe, de la sensibilité et de l’intelligence de Roth qui obtient de ses instrumentistes d’élite ce naturel et cette grâce qui sont paradoxalement le fruit d’un long et patient travail au départ d’une parfaite connaissance de la partition.