Le concert symphonique du 7 février au Palais de la Musique et des Congrès de Strasbourg a offert une interprétation proprement bouleversante de la Symphonie n° 13 « Babi Yar » de Chostakovitch. Le chef Marko Letonja, la basse Pavlo Hunka, le Chœur National d’hommes d’Estonie et l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg à l'imposant effectif ont livré une œuvre musicale grandiose et un message douloureux mais, plus encore, fortifiant. Il y a du Fidelio dans cette symphonie de Chostakovitch : partant des effrayants massacres nazis de Babi Yar et de leur interprétation partiale par les Soviétiques, on y trouve, comme dans l'opéra beethovénien, la dénonciation poignante de la terreur et du crime politique, l'aspiration à la liberté, à l'idéal d'une société de progrès, fraternelle, pacifique. Le Fidelio de Chostakovitch est cependant démultiplié par millions ; ils se nomment : martyres de la Shoah et de toute barbarie d'État. Des victimes d'une Histoire ayant connu intolérance et persécutions sont également citées dans les cinq poèmes d'Evtouchenko coextensifs à l'œuvre musicale, prodigieusement chantés par une basse et le chœur d'hommes, soutenus par un orchestre d'une puissance exceptionnelle.
La basse solo, Pavlo Hunka, a partagé un rôle de premier plan avec le chœur, leur dialogue se poursuivant durant toute la symphonie et engendrant, à travers l'orchestre, un écho saisissant, variant selon le propos. Baryton-basse plutôt que basse profonde, Pavlo Hunka exprime d'une voix de héraut relativement haut placée, claire, éloquente et forte, les plaintes des martyrs brisés par la souffrance, tous siècles confondus. Il s'identifie de manière pathétique aux juifs, à Jésus, à Alfred Dreyfus, Anne Franck, aux vieillards et enfants fusillés. Joignant de manière discrète mais significative le geste à la voix, il s'accroche à un pupitre comme pour éviter de tomber sous les coups (poème « Babi Yar »). Changeant d'attitude, il devient le baladin dont l'humour est un défi lancé aux persécuteurs incapables de comprendre cette forme de résistance. La voix parvient à traduire l'ambivalence de la situation : humour corrosif d'un côté, conscience du risque mortel encouru de l'autre (poème « L'Humour »). Puis, incarnation vocale toujours subtile, Pavlo Hunka présente une autre figure encore, révélant une intériorité qui ne nécessite pas beaucoup de gestes pour donner sens à un chant déplorant la misère du petit peuple (« Au magasin ») et l'angoisse de se savoir menacé à tout moment par un pouvoir sanguinaire (« Peurs »). Enfin, professeur bienveillant, il décrit sur un ton qui se fait encourageant, plein d'espoir, la carrière difficile mais réussie des génies qui ont su apporter à l'humanité lumière et bonheur : Galilée, Shakespeare... (« Une carrière »).