En tournée européenne cet automne, le Czech Philharmonic et son directeur musical Semyon Bychkov posent leurs valises à la Philharmonie de Paris pour deux concerts, conclus par un retour aux sources avec la Septième Symphonie de Gustav Mahler. N’oublions pas la filiation que revendique la phalange praguoise, que le compositeur a dirigée dans plusieurs de ses symphonies – ensuite immortalisées par l’intégrale de Vaclav Neumann, une référence – et pour la création de cette Septième en 1908. Le poids de l’histoire confère donc à ce concert une dimension particulière !

Semyon Bychkov dirige le Czech Philharmonic à la Philharmonie de Paris © Ava du Parc
Semyon Bychkov dirige le Czech Philharmonic à la Philharmonie de Paris
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Sur le rythme d’une marche funèbre en tutti, les premières mesures du Langsam font entrer l’auditeur dans un paysage crépusculaire éclairé à la bougie par la cantilène du tenorhorn ; si on l'a déjà entendue parfois trop martiale, parfois trop pâle, l’introduction du premier mouvement ne souffre ici d’aucun de ces deux travers. L’Allegro con fuoco, soutenu par des violoncelles corrosifs auxquels se superpose un inconstant pupitre de cors, apporte une chaleur ardente à cette lumière entre chien et loup. Matériau composite complexe, ce mouvement tisse ses éléments sur une trame générale unifiée plutôt par les timbres que par les thèmes, et requiert un art de la transition qui réponde aux exigences de sa modernité ; ici, la souplesse du chef contribue à alourdir l’ensemble, auquel il manque les subtilités d’une « urgence toujours croissante » et ritenuto – selon les indications du compositeur – sur laquelle viendraient se greffer ces moments de suspension « sans précipitation ». L’uniformité de cette interprétation, malgré tout conclue par une section finale riche et graduée, laisse présager l’engourdissement nocturne à venir.

La première des deux Nachtmusik commence par une douce conversation de cors, que l’on se plaît à rêver comme l’appel de sonneurs des Alpes à travers la vallée. Malheureusement, rien de tel dans ce début de second mouvement : les deux cornistes se répondent hic et nunc et le legato excessif du second (en réalité troisième cor du pupitre) ne contribue pas à faire fleurir l’imaginaire pastoral de l’auditeur. En revanche, la transparence de la composition est rendue par un orchestre au jeu léger, doucement chaloupé, auquel les pépiements de la petite harmonie confèrent une atmosphère de candeur naïve.

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Le Czech Philharmonic et Semyon Bychkov à la Philharmonie de Paris
© Ava du Parc

À cette naïveté répond l’odeur de soufre du troisième mouvement : dans ce scherzo aux allures de danse macabre, l’humour noir et décapant de Mahler est offert sans vulgarité par l’orchestre. Malgré les sonorités grinçantes des bois qui apportent avec elles les couleurs de la mort, la direction de Semyon Bychkov est trop distante, trop élevée pour danser avec elle – comme l’appelait de ses vœux Willem Mengelberg – et en donner véritablement l’odeur. L’alternance légère des timbres permet tout de même au chef de communiquer l’impression d’une mécanique diabolique en perpétuel mouvement.

L’odeur sucrée de l’amour succède à l’odeur brumeuse de la mort dans le pastiche de sérénade du quatrième mouvement qui incorpore une guitare et une mandoline. La couleur chambriste de cette seconde Nachtmusik, apportée par le dialogue du violon et des bois, est malheureusement desservie par des cordes trop creusées pour souligner son caractère nocturne ; le long et beau trille de clarinette lui apporte néanmoins la clarté d’une aube naissante.

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Le Czech Philharmonic et Semyon Bychkov à la Philharmonie de Paris
© Ava du Parc

C’est dans la lumière du jour que Mahler conclut cette symphonie, et le réveil est brutal : au martèlement sec et énergique des timbales répondent de puissants appels de cors. Musette et fanfares de villages s'emballent dans un tourbillon anarchique de souvenirs où l’inspiration de l’urgence, qui faisait défaut jusque-là, est finalement trouvée par le chef. De même, les pupitres de cuivres, apprivoisant enfin l’équilibre acoustique de la salle, restituent toutes les textures instrumentales – essentielles à la matière orchestrale – et concluent par un finale très convaincant. Le Czech Philharmonic nous offre ainsi une nouvelle preuve de ses sonorités inimitables dans une Septième Symphonie qui, au bout du compte, nous laisse tout de même sur notre faim.

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