Rarement est-on sorti d’un concert le cœur ainsi gonflé d’espoir, l’esprit autant comblé ! Avec ce nouveau concert-spectacle, le Centre de Musique de Chambre et sa clique de jeunes musiciens continuent leur chemin, repeignant noir et blanc des partitions de toutes les couleurs qui leur coulent des doigts. Et outre le plaisir vif que dispense leurs interprétations – vigoureuses et puissamment incarnées –, l’auditeur en retient une leçon qui est aussi d’histoire.
Dvořák a été un musicien de fusion, réalisant des synthèses de style, des confrontations dialectiques des divers continents musicaux. Cela, on l’a peut-être appris en cours de musique, mais rares sont les occasions d’en prendre acte au concert. Voilà déjà une première chose que nous offrait Une Soirée chez Mrs Thurber, spectacle signé Jérôme Pernoo : une trame musicale qui ose la comparaison, la superposition, le fondu-enchaîné, tout cela au service du sens. Si d'aimables voix-off, celles de l’hôte Mrs Thurber et d’Antonín Dvořák, papotent entre les œuvres, la plupart du temps, les mots sont superflus et la démonstration musicale parle d’elle-même. Un chant amérindien se métamorphose en lento de Quatuor Américain, avant que le Concerto pour violoncelle ne fasse soudainement irruption au beau milieu d’un spiritual. Ici l’information passe par des détours habiles, on la sublime au travers d’une interprétation, d’un tour de passe-passe technologique. Même les fameuses Devialet Gold étaient de la partie, nous offrant dans la Symphonie du Nouveau Monde des commotions quasi sismiques. Petit accessoire au service de la narration, un écran sur la gauche complétait la bande son d’une matière visuelle, sorte de carnet de voyage photographique.
Jouer debout et sans partitions, un risque ? Sans doute, mais également une manière toute autre d’envisager la musique de chambre. Bonheur de l’oeil : on communique autrement les impulsions, on autorise une certaine musique des corps ; les climax ne sont pas simplement reproduits en musique, ils sont pleinement vécus par les interprètes. Notre quintette a d'ailleurs parfaitement compris tout le parti que l’on pouvait tirer d’une expression corporelle altruiste, d’un jarret mobile, de talons dansottant au rythme de la dumka. Il ne s’agit pas de surjouer, plutôt de laisser libre cours aux envies. Ce soir les musiciens n’hésitent pas à caractériser à l’extrême thèmes et atmosphères, à imposer de frappantes ruptures de tempo. Avec tant d’attention accordée à la clarté didactique des intentions, la structure de l’oeuvre et les artifices de l’écriture se révèlent avec une évidence nouvelle.
Ivan Karizna, a tellement faim de musique qu’on a parfois l’impression qu’il va manger son violoncelle et nous avec ! Mais quelle liberté extraordinaire à son instrument ! En voilà un qui semble jouer comme il respire, chez qui toute trace d’effort s’est mystérieusement volatilisée. Avec lui, la phrase liminaire de l’Allegro ma non tanto prend le temps de s’exhaler petit à petit, en plusieurs fois (il relance souvent le discours, sans pour autant couper la phrase). En musique de chambre, il est souvent question de « conduite » : la sienne est virtuose, friponne et nous mène par le bout du nez.