Une soirée qui se voulait un hommage vibrant à la personnalité d'Adolf Busch. Mais dans leur approche géométrique, le style résolument moderne et leur son patiné, les musiciens du Quatuor Renaud Capuçon n'ont laissé transparaître aucune trace de cette maîtrise expressive, cette simplicité, cette liberté créatrice d’évidence caractéristiques des Busch.
À la question du choix de l’œuvre à emmener avec soi sur une île déserte, l'Opus 131 de Beethoven reviendrait souvent en choix n° 1 des chambristes. Sept mouvements de durées irrégulières, chacun caractérisé par une tonalité et un tempo, déployés en une coulée unique ; quel meilleur équilibre que celui-ci ? C'est sans compter que les musiciens de ce soir ont réalisé cette drôle d'idée, propre au mollusque, de porter leurs os à l'extérieur et de préserver leur vivante chair à l'intérieur. Protégeant de cette anatomie rigide leurs sensibilité, ils restent à l'abri de toute faute de goût, enfermés dans le vase solennel du rythme que rien ne rendra vulnérable. Car nulle trace de cette quiétude, de cette expressivité, de l'éclat virginal – engagé jusqu’à la violence s’il le faut – qui caractérise le son d'Adolf Busch. On cherchera en vain les ad libitum généreux des phrasés, des tempi et l'alto tremblant d'émotion que connaissent les amateurs du quatuor Busch.
À la place, une Fugue imperturbable, qui avance avec une rigueur métronomique. Culmination, expiration : pas une minute à perdre. Mais une fois tous les instruments entrés, le son ne fléchit plus. Les musiciens Quatuor Renaud Capuçon ne cherchent au demeurant pas à impressionner par leur versatilité dynamique, plutôt par une forme de résilience, comme en atteste la belle constance des vibratos. Allegro molto vivace. Le ciel s'éclaircit et, soudainement, tout change de forme ; le thème en ré majeur s'élance avec une sorte de fraîcheur juvénile, comme s'il naissait au monde. Le changement d'humeur est très réussi ; les musiciens n'ont aucun mal à briser la lourde chape que le premier mouvement avait répandu sur les auditeurs. Le Thème et variations qui tient lieu de quatrième mouvement, comparable en perfection à l'Arietta de la Sonate op. 111, est le théâtre de très belles choses. L'esprit, pointilliste, manque cependant de générosité : bien pauvre soulas que cette précision, lorsque l'on veut du cœur ! Arrive le Presto, amorcé par quatre notes forte du violoncelle. Les archets du Quatuor Renaud Capuçon rebondissent, marquant chaque attaque. Le tempo assis, presque trop lent, met à nu l'architecture rythmique et relègue la ligne mélodique au second plan ; l'interprétation prend une tournure un brin cartésienne. C'est dommage, on aurait préféré entendre l'avidité d'un enfant haletant pour des sucreries, non pas son instituteur.
Après un sixième mouvement « de transition » particulièrement limpide, nous voilà face à ces coups de boutoir qui annoncent l'épique chevauchée, juste témoignage de la pensée aventureuse du compositeur. Sommet dramatique du quatuor, ce mouvement rejoint la tonalité du mouvement initial, rappelant, par instant, le dernier mouvement de la Sonate pour piano n° 14, op. 27 (avec laquelle il partage tonalité et, de manière amusante, l'emplacement numérique). N'en déplaise à Adolf Busch qui s'autorisait quelques largesses de tempo, l'interprétation du Quatuor Renaud Capuçon, elle, est vigoureuse, efficace, mais sans concession.