C’est un programme russe atypique qu’ont concocté l’Orchestre de Paris et son Chœur pour le retour sur scène de ce dernier, après plus d’un an d’arrêt des représentations : des vêpres, une romance, un concerto et une symphonie… On aurait pu se perdre dans la multitude des compositeurs et d’extraits présentés, juxtaposés en 1h40. Mais c’était compter sans l’énergie de Lorenzo Viotti, qui parvient à réunir les contraires pour donner au concert une cohérence incontestable.
La première partie de la soirée combine savamment quatre extraits d’œuvres sacrées ou quasi-sacrées pour chœur (les Vêpres de Rachmaninov et les plus rares Pater Noster de Kedroff et Concerto pour chœur de Schnittke) et trois mélodies pour soprano et orchestre. L’enchaînement des différentes pièces – rapide et sans applaudissements – renforce l’impression de logique interne au programme, et parvient même, par instants, à faire croire au spectateur qu’il assiste à la représentation d’une vaste œuvre sacrée pour chœur et soliste, une sorte de liturgie rêvée. La disposition inhabituelle du chœur, dont les chanteurs largement espacés occupent tous les sièges de l’arrière-scène et des balcons latéraux de la Philharmonie, crée pour le public une sensation d’immersion qui participe de ce climat quasi-religieux.
Ce caractère immersif est renforcé par l’impressionnant travail sur les dynamiques entrepris par les chanteurs : dans les Vêpres en particulier, les crescendos très amples amènent des sommets puissants et, à l’inverse, permettent au chœur d’offrir des passages murmurés, vraiment célestes. La grande douceur des voix de femmes renforce l’atmosphère apaisée de la pièce. Les consonnes parfois chuchotées, parfaitement ensemble malgré la distance qui sépare les chanteurs, montrent l’importance attachée au texte – déjà indiquée par les surtitres qui aident à saisir le texte liturgique. La voix de Sabine Devieilhe semble émerger naturellement de ce très beau cadre : avec un usage très parcimonieux du vibrato, elle conserve à tout instant une grande pureté de timbre, net et clair même dans les pianissimos les plus extrêmes de la Romance orientale de Rimski-Korsakov. Surtout, son legato ininterrompu donne à sa voix un caractère aérien, presque mystique. Si les couleurs de l’orchestre qui l’accompagne sont belles, en particulier les cordes très douces, celui-ci manque parfois d’engloutir sa voix dans les passages les plus expressifs. Cela ne rend que plus enchanteurs les moments où la voix ressort plus nettement seule, dans les aigus de Zdes' Korosho ou la vocalise finale de la Romance notamment. C’est au contraire la multiplicité des voix et la richesse des harmonies qu’elles créent qui donnent au Concerto pour chœur et à ses paroles presque mystiques un caractère céleste.