Cette semaine, les amateurs d’orchestre symphonique ne risquaient pas de s’ennuyer : après la venue de Valery Gergiev et des Münchner Philharmoniker lundi, la Philharmonie de Paris accueillait vendredi la Filarmonica della Scala, dirigée par Riccardo Chailly. Si les orchestres invités choisissent souvent de diffuser en tournée un répertoire de prédilection généralement synonyme de patrimoine musical national, la phalange milanaise a pris un tout autre parti, proposant un programme entièrement russe : la Symphonie n° 2 dite « Petite Russienne » de Piotr Ilitch Tchaïkovski précédait ainsi la suite op. 29a tirée de l’opéra Lady Macbeth du district de Mtsensk, de Dimitri Chostakovitch, et le ballet Petrouchka d’Igor Stravinsky. La soirée s’annonçait donc particulièrement intéressante : comment l’orchestre de la Scala et son élégant maestro allaient-ils s’emparer de ce répertoire singulier ?
Chailly ouvre le bal, égal à lui-même : prestance admirable, battue souple, oreille attentive, baguette élégante, le maestro règne sur son orchestre avec bienveillance, distillant juste ce qu’il faut d’indications pour favoriser l’écoute collective et le confort de chacun. Comme tout grand orchestre dirigé par un grand chef, la phalange milanaise donne l’exacte réplique sonore des propositions du maestro : toujours juste, l’orchestre se distingue d’emblée par la clarté harmonieuse de ses bois et la texture veloutée de ses cordes. Cor doucement cuivré, basson au timbre soyeux, les solistes évoluent avec un lyrisme naturel qui n’est pas sans rapprocher l’opéra romantique italien de l’œuvre de Tchaïkovski… à moins que ce ne soit l’inverse.
Au premier abord, on ne peut qu’être séduit par autant de grâce lumineuse. Le premier Allegro montre cependant bien vite les limites d’une telle esthétique : en arrondissant systématiquement les angles de sa battue, Chailly gomme des aspérités essentielles de la symphonie de Tchaïkovski. Pourtant martial, presque belliqueux, le thème principal est à peine scandé par des violons peu incisifs. À l’échelle du mouvement, la direction fluide du maestro brouille l’articulation régulière des phrases, atténue la surprise d’une modulation, efface les rebondissements de la forme, ce qui tend alors à transformer la « petite Russie » en morne plaine. Certes, le soin porté à la pureté de l’intonation et à l’équilibre orchestral offre le plus souvent une matière sonore des plus agréables, notamment dans le deuxième mouvement. Mais le manque de caractère, de panache, déjà flagrant dans un scherzo privé de ses palpitations sautillantes, achève de déranger dans un dernier mouvement lourd et répétitif.