C'est à une soirée proprement extraordinaire qu'était invité le public lors du concert donné par l'Orchestre philharmonique de Strasbourg à l'effectif renforcé de manière impressionnante, le 7 juin dernier au Palais de la Musique et des Congrès de la ville. Parmi les instruments à la stature la plus visible, on ne compte pas moins de huit contrebasses et six harpes ! Deux chœurs, celui de l'Opéra national du Rhin et le Chœur Gulbenkian joignent et font alterner leurs voix pour servir un inoubliable Roméo et Juliette de Berlioz. L'ensemble est placé sous la direction de John Nelson dont le talent, la gestique, les postures, la figure d'antique coryphée ne font pas seulement de lui un grand directeur musical mais un véritable dramaturge. Dans ses mains qu'il tend vers l'orchestre, sur son visage lorsqu'il se tourne vers la salle, accompagnant à pleine voix instrumentistes et chanteurs, le mythe shakespearien renaît avec tout l'éclat voulu par Berlioz. Chanteurs solistes d'un drame savamment mis en espace entre la scène et la salle d'où les chœurs se font voir et entendre, Joyce DiDonato, Cyrille Dubois et Christopher Maltman (Père Laurence) font vivre les scènes de manière particulièrement prenante.
Les trilles répétés des cordes et l'augmentation de la masse sonore à mesure que les vents entrent en jeu installent dès les premiers instants un sentiment de fébrilité, de tension, rendu palpable par l'orchestre. Le cadre est posé, celui d'un champ ouvert aux violentes échauffourées qui s'annoncent entre les Capulet et les Montaigu. Les cuivres aux éclats fournis et guerriers sonnent le début des hostilités puis, par bonheur, le rétablissement de la loi voulu par le prince. Les autres pupitres suivant des lignes claires et bien distribuées parviennent à dépeindre paradoxalement le parfait désordre de la mêlée. Dans le prologue, le chœur, en un style inhabituel de choral-récitatif au demeurant bien articulé, amorce un dialogue avec les strophes chantées par les solistes pour expliquer les enjeux de la situation où se noue le drame. L'enchaînement entre les parties vocales est fluide, rendant le récit lumineux. Joyce DiDonato, de sa voix de mezzo-soprano forte et posée, ornementée par la ligne inspirée de la harpe, aborde le propos narratif avec bonheur jusque dans les vers les plus difficiles à rendre. Rien n'est jamais perdu de la richesse et de la chaleur de son timbre. Par sa vivacité et son expressivité saisissantes, le ténor Cyrille Dubois inscrit son Scherzetto dans une ambiance dont la verve et la fantaisie féerique, partagées avec le chœur, séduisent.