Le Rotterdam Philharmonic Orchestra a donné la Huitième Symphonie de Bruckner vendredi dernier au Théâtre des Champs-Élysées, sous la baguette le chef finlandais Jukka-Pekka Saraste venu remplacer Nézet-Séguin initialement prévu. L’orchestre avec ses cent vingt instrumentistes, dont trois harpes, huit cors et une quarantaine de violons est impressionnant sur le plateau, mais dès que le maestro arrive, la présence de ce dernier marque une transition qui impose le silence. Par des gestes discrets, le chef en appelle à la concentration des musiciens, tout comme à celle du public, impressionné par ce leader charismatique avant même que les premières notes ne se fassent entendre.
La symphonie débute avec un Allegro démocratique. Tous les pupitres jouissent de leur moment solo : la clarinette, les cuivres magistraux, ou encore les cordes dialoguant entre elles, encadrés à merveille par le chef d’orchestre qui parvient à créer une symbiose entre les instruments. Le premier mouvement, semblable en cela à la symphonie elle-même, semble ne laisser aucun répit au spectateur qui est constamment porté par les crescendos, decrescendos, les changements de tempi mêlés au thème principal qui se balade entre les pupitres. Le chef marque alors une pause de quelques secondes avant la reprise collective des pizz. Cette suspension soudaine du discours musical, ouvrant un espace infini, est caractéristique de l’ambiance du concert : le spectateur est porté par Jukka-Pekka Saraste qui emmène son auditoire vers un ailleurs.
L’introduction du Scherzo à de la caisse claire nous introduit à une toute autre ambiance, beaucoup plus romantique. Les harpes se font ici entendre, au milieu des notes fortissimos données par le reste de l’orchestre. Bruckner écrit cette musique comme il la vit : de manière passionnelle et personnelle. Si ses choix d'écriture ont souvent été incompris par les éditeurs, lesquels refusèrent à plusieurs reprises la publication du manuscrit, l'incompréhension est légitime. C’est une musique nouvelle, novatrice qui nous est livrée. Lors de l’Adagio, véritable accalmie dans la partition, le chef se déplace littéralement sur son estrade pour accompagner le son produit par les musiciens. Il semble infiltrer l’orchestre pour guider au mieux les différents pupitres, récompenser les uns et soutenir et accompagner les autres.