Le premier acte est impressionnant. Kirsten Harms part d’une idée très simple : l’opposition entre paganisme et christianisme prend corps dans une structuration originale de l’espace, marquée par la verticalité. Les personnages ne feront plus leur apparition en entrant côté cour ou côté jardin, mais en surgissant de sous la scène pour les créatures issues des univers païens ou infernaux, ou en descendant des cintres pour les personnages défendant les valeurs chrétiennes. Cela nous vaut quelques tableaux saisissants, telle, pendant l’ouverture, la lente descente de Tannhäuser en armure vers les sirènes nues, tendant lascivement leurs bras vers lui ; ou encore l’apparition des pèlerins surgissant du sol, à moitié dévorés par les flammes, menacés par des démons prêts à s’emparer d’eux mais comme stoppés dans leur tentative par l’innocence et la pureté du chant du pâtre (superbe intervention de Valeriia Savinskaia !). C’est beau, fort, en parfaite adéquation avec la musique, et l’on admire la façon dont la metteuse en scène, tout en respectant le contexte médiéval de l’intrigue, parvient à en donner une vison d’une étonnante modernité.
Le second acte est plus banal : visuellement, on n’échappe pas à un certain kitsch, de par notamment la présence de costumes plus médiévaux que nature, ou le fait qu’Elisabeth soit affublée de ses deux grandes nattes blondes… Quant au troisième, c’est l’incompréhension : Elisabeth ne guette pas l’arrivée des pèlerins dans une vallée isolée mais rend visite à des blessés de guerre dans une salle d’hôpital, dont le plafond donne à voir des dizaines d’armures suspendues… Pas de pèlerins rentrant de Rome : les blessés se dressent sur leur lit, chantent leur « Beglück darf nun… » puis se recouchent. Wolfram, de passage dans cet hôpital, pénètre dans cette salle avec son cheval, et chante sa romance à l’étoile entre les lits des blessés. Par chance, Tannhäuser, de retour de Rome, fait lui aussi une halte dans cet hôpital, ce qui lui permet d’y rencontrer son ami, de lui raconter son entrevue avec le pape puis d’y mourir. Entretemps, les armures suspendues auront descendu de quelques mètres vers le sol.
Que l’ensemble soit visuellement fort laid, que le propos de la metteuse en scène demeure parfaitement sibyllin n’est pas le problème – ou ne l'est plus, tant nous sommes aujourd’hui habitués à ce genre de lectures pour le moins absconses. Mais le hiatus créé par rapport à la musique et à l’émotion qu’elle véhicule est en revanche difficilement excusable : quid du contraste pensé et voulu par Wagner entre l’extrême solitude d’Elisabeth, le surgissement de la foule, l’attente angoissée de la jeune femme espérant voir paraître l’homme qu’elle aime avant d’être brutalement renvoyée à la solitude, au désespoir, au néant ? Tout cela disparaît au profit (?) de tableaux incompréhensibles et surtout dépourvus de toute émotion.
L’interprétation musicale est à l’image de cette réalisation scénique : inégale. Le chef australien Nicholas Carter alterne les bons moments (le tableau du Venusberg, empreint de toute la sensualité attendue) et de curieuses chutes de tension (les spasmes de l’orchestre, avant l’exclamation « Nach Rom ! » à la fin de l'acte II sont privés de toute fulgurance, le récit de Tannhäuser à l'acte III, de toute tension dramatique). Passés les deux inexplicables couacs de l’ouverture, l’Orchestre du Deutsche Oper se montre globalement en bonne forme. Les chœurs sont tout à fait satisfaisants chez les femmes mais le sont un peu moins côté messieurs, qui font entendre de petits décalages dans les débuts de phrases, de même qu’un relatif manque d’homogénéité chez les ténors.