Pour sa quarantième saison, l'association toulousaine Les Grands Interprètes soigne particulièrement ses affiches. Celle de ce soir à la Halle aux grains est impressionnante : Myung-whun Chung, bientôt directeur musical de la Scala, dirige le Tokyo Philharmonic Orchestra dont il est directeur musical honoraire ; pour commencer, ils accompagnent Maxim Vengerov dans le Concerto pour violon de Tchaïkovski. Voilà presque vingt ans que le violoniste n’était pas venu à Toulouse. C’est dire si l’attente était grande. À en voir les explosions de joie, les rappels, la salle debout, le moins que l’on puisse dire est qu’il a répondu présent !

Myung-whun Chung dirige le Tokyo Phil © Takafumi Ueno / Tokyo Phil
Myung-whun Chung dirige le Tokyo Phil
© Takafumi Ueno / Tokyo Phil

Le concerto est écrit pour la gloire d’un soliste et il est particulièrement redoutable pour ses interprètes. D’ailleurs son premier dédicataire l’a refusé. Vengerov, qui l’a probablement joué des centaines de fois, tient quant à lui crânement sa place : au centre de tout, du jeu, de l’intention, de l’attention. Il domine chaque instant de la partition, appuyant pleinement son archet sur les cordes, avec une densité étourdissante. Les extrêmes aigus, régulièrement sollicités, sont étonnants de plénitude, de chair, de suavité.

L’orchestre n’est pas en reste : son accelerando-crescendo qui amène la cadence du premier mouvement est stupéfiant d’énergie. Les nuances de la « Canzonetta », certes imposées par la sourdine, n’en séduisent pas moins, révélant une nouvelle face de l’orchestre, souple et nuancé, dans une ambiance fusionnelle avec le soliste. Et c’est Vengerov qui prend les commandes du finale dans un tempo hystérisant, toujours impeccablement porté par le TPO et son chef. Solide comme un Vengerov.

C’est donc une salle chauffée à blanc, qui obtient en bis l’« Adagio » de la Première Sonate pour violon seul de Bach, annoncé dans un français parfait par l’artiste. Dans une lecture assez romantique et sensible, avec un puissant legato assumé, Maxim Vengerov restitue dans une parfaite lisibilité les dimensions harmonique et polyphonique de l'écriture du Cantor de Leipzig.

Serviteur attentif dans la première partie, Myung-whun Chung va montrer ses dents après l'entracte dans des extraits de Roméo et Juliette de Prokofiev. En agençant dix pièces extraites des trois Suites dans une relative cohérence par rapport au récit du ballet, il choisit de nous embarquer dans une histoire. D’abord celle de la rivalité entre les familles, dans « Montaigu et Capulet ». C’est tout de suite une tension : entre des cordes ténues et des hurlements stridents des cuivres, puis survient le fameux thème orgueilleux et arrogant ; ça roule, ça sonne, ça tonne, on vibre.

L’extatique volupté de la « Scène du balcon » avec ses cordes séduisantes et lyriques, est une parenthèse bienvenue avant le déchaînement de la « Mort de Tybalt », sommet de la soirée, somptueux, délirant, soigné, jamais écrasant. On prend les quinze coups en plein plexus, puis c’est reparti vers un climax tellurique, toujours dans une précision rythmique parfaite. Deux « Danses », soigneusement distinctes, introduisent « Roméo au tombeau de Juliette », enchaîné avec la « Mort de Juliette ». Les instrumentistes ont les sourcils froncés, pris dans le récit, les spectateurs sont saisis d’effroi. Chung à tout moment reste droit, impérieux, imposant sa vision d’une volonté de fer, le geste sobre.

Le feu d'artifice de la Première Danse hongroise de Brahms, donnée en bis, achèvera d’électriser une salle conquise par cette soirée hors normes.

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