Premier concert de la saison pour Esa-Pekka Salonen à la tête de l’Orchestre de Paris, si cher à son cœur. Et quoi de mieux qu’un dîner aux chandelles (électriques) pour déclarer sa flamme et fêter les retrouvailles ? C’est en tout cas l’ambiance que nous ont offert ce programme autour de la métaphysique de l’amour et la grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris, parée pour l’occasion de ses plus beaux néons – plusieurs dizaines, tout de même, sont éparpillés verticalement dans l’orchestre* ! Difficile de ne pas voir une tentative de modernisme superflu dans cette signature lumineuse du genre select night club, certes plus favorable aux photos Instagram qu’à l’observation attentive des musiciens, mais qui ne nuit en rien à la qualité d’écoute. Dans cette atmosphère, le chef finlandais emmène l’auditeur à travers un programme résolument tourné vers l'inédit : La Damoiselle élue de Debussy et Clocks and Clouds de Ligeti font leur entrée au répertoire de l’orchestre, avant une conclusion en fanfare avec la Turangalîla-Symphonie de Messiaen.
Du bleu marial au blanc, les néons dispersés nimbent la scène d’une atmosphère crépusculaire, à laquelle les premières notes du quintette de la Damoiselle élue apportent la chaleur d’un jour d’été. Malgré l’influence palpable du maître de Bayreuth sur le jeune Debussy, ce crépuscule n’évoque aucune menace, bien au contraire. Avec une aisance déconcertante et comme transfiguré, Salonen assouplit son geste et fait jaillir tout le nuancier de couleurs instrumentales requis par cette composition. Sans excès, les deux chœurs (jeune et adulte) de l’Orchestre de Paris irisent la mélodie de leurs voix séraphines, et créent – par un contraste équilibré entre sopranos et contraltos – un très bel écrin pour l’élue du soir : Axelle Fanyo. Cette dernière, éblouissante de justesse dans les intentions, expressive mais sans démesure, nous plonge par sa voix claire et son vibrato serré dans un éther de limpidité. Chaque difficulté est aisément surmontée par la soprano qui ne tombe dans aucun piège, et réussit le tour de force de l’incarnation – pas seulement du personnage, mais de toute sa partition – par la richesse de timbre qui orne chacune de ses notes. Quel dommage, donc, que la récitante Fleur Barron ne soit pas à la hauteur de cette damoiselle : malgré une belle voix, chaude et sombre, la mezzo peine tant à la diction que son texte en devient incompréhensible.
Incompréhensible, le texte chanté par le chœur accentus l’est également dans Clocks and Clouds de Ligeti, mais cette fois-ci à dessein. Placées en lieu et place des violons comme pour mieux les intégrer à l’orchestre, les six sopranos et les six altos s’emparent de leur texte – issu de l’alphabet phonétique – avec une vigueur excessive : les attaques trop franches et la diction trop appuyée, presque caricaturale, nuisent à l’homogénéité de l’ensemble. Le fondu des timbres entre l’orchestre et les voix, censé refléter une matière organique en constante évolution, est absent et fait perdre tout son sens à la composition de Ligeti. Ce défi est en revanche aisément relevé par l’orchestre qui s’amuse à évoluer imperceptiblement entre le mouvement perpétuel des métronomes et les montres molles de Dalí.
Malheureusement, la seconde partie de concert ne nous laisse pas une meilleure impression et dès le premier mouvement une question se pose : qui donc a débranché les ondes Martenot ? Nathalie Forget aura été absente tout au long des quatre-vingts minutes de la Turangalîla-Symphonie, et ce choix interprétatif interroge quand l’on sait quelle importance – musicale et sentimentale – est donnée à l’ondiste dans cette partition. Au piano, Bertrand Chamayou en tire son parti et gratifie le public d’une interprétation assez brillante : son jeu percussif, nerveux et obstiné n’oublie aucun contraste et vient, selon le désir de Messiaen, « diamanter l’orchestre ».
La principale déception nous vient donc du chef – pourtant là au cœur de son répertoire – qui donne à entendre une conception très brutaliste de l’œuvre, certes virtuose mais trop éloignée de la dimension narrative de la partition. Le Jardin du sommeil d’amour n’est plus une jungle luxuriante mais un désert aride et hostile, étouffé par des cordes trop présentes. Aucun mystère ne vient sourdre de l’alternance des rythmes et motifs, le Développement de l’amour est joué sans aucune « passion charnelle et terrible » : cette Turangalîla-Symphonie apparaît comme une succession d’épisodes décousus. Malgré une direction au cordeau, Salonen peine à maintenir l’intérêt du public, qui n’a d’ailleurs pas hésité à quitter la salle entre les mouvements, laissant une arrière-scène quelque peu clairsemée à la fin de l’œuvre.
*Note de l'éditeur : Les néons évoqués par l'auteur ont été retirés pour le second concert (du 15 septembre), à l'occasion duquel ont été prises les photos utilisées en illustration de l'article.
About our star ratings