Victor Julien-Laferrière fait partie de cette jeune génération de violoncellistes français à la carrière déjà bien lancée. Si le public l’associe naturellement au concours Reine Elisabeth qu’il a remporté l’an dernier, sa renommée est plus ancienne et s’est construite notamment grâce à ses enregistrements avec Adam Laloum et le trio les Esprits. Il nous offre à la Fondation Louis Vuitton un concert solo mémorable, avec un programme osé qui reflète l’horizon large du musicien : après la Suite pour violoncelle seul n°3 en ut majeur de Bach, il interprètera les Trois Strophes sur le nom de Sacher de Dutilleux, pour aboutir à l’imposante Sonate pour violoncelle seul op.8 de Kodály qui occupera à elle seule la seconde partie.
Le Bach de Victor Julien-Laferrière est confondant de justesse et d’évidence. Dès les premières notes tout est là, et tout est déjà dit en quelque sorte. Ce qui frappe, c’est la souplesse de la ligne, cette ligne qui se déploie d’un bout à l’autre de la phrase, grossit, s’amplifie, s’attarde quelques instants pour mieux reprendre son souffle, et repart en un nouvel élan. Cette ligne semble suivre son propre chemin, sa propre agogique, donnant l’impression que la musique respire d’elle-même, vit d’elle-même, le violoncelliste étant celui qui débroussaille le chemin pour offrir à la musique l’espace de sa propre liberté, l’espace dans lequel elle donnera libre cours à tout son potentiel expressif. Et tout dans le jeu de Victor Julien-Laferrière va en effet dans le sens de l’expressivité : la gestion des attaques, des nuances, des dynamiques. La part belle est réservée aux silences et aux respirations, qui ne font que renforcer l’impression de continuité. A cet égard la fin du Prélude est éloquente, le violoncelliste semble étirer le temps à travers des appuis marqués dans le grave du violoncelle. Dans l’Allemande, les appuis sont comme autant de rebonds qui permettent de s’élever dans les airs pour gagner en légèreté. La Courante et les Bourrées sont remarquables par la gestion des dynamiques que le violoncelliste tient d’un bout à l’autre. La Sarabande, d’une expressivité exceptionnelle, donne quand à elle une singulière impression de dissolution du temps. La cohérence et la dimension organique que Victor Julien-Laferrière réussit à insuffler à la Suite participe du sentiment de spontanéité et de vérité qui se dégage de l’écoute, comme si la musique coulait à nos oreilles dans son évidence même.