Le Festival de Pâques de Deauville s'appuie sur l'expérience de ses invités historiques (Renaud Capuçon, Nicholas Angelich, Bertrand Chamayou) pour proposer un audacieux pari : donner à entendre les plus prometteurs talents de la jeune génération dans des programmes associant les chefs-d'œuvre du répertoire à des travaux plus rares. Ce soir, espièglerie suprême, c'est avec le Quintette à deux altos d'Anton Bruckner que le Quintette avec piano de Johannes Brahms est mis en perspective. À la légendaire incompatibilité des deux musiciens, les interprètes répondent par une idée sonore unique, toute d'élégance, qui repose sur une minutieuse déconstruction des œuvres.
L'ambitieux et rare quintette de Bruckner place les interprètes face à un dilemme presque insoluble : comment préserver la légèreté des articulations tout en y imprimant la grandeur symphonique à laquelle le compositeur aspire ? On cherchera en vain la réponse dans le premier mouvement : si les tentatives de conciliation abondent – la pétillante légèreté des trilles de Mi-Sa Yang, au second violon, répond à merveille au spiccato dense et appuyé du violoncelliste Volodia Van Keulen –, elles ne s'accordent jamais en une synthèse convaincante. Le scherzo, au caractère plus marqué, est d'exécution plus aisée. Les violonistes, Shuichi Okada et Mi-Sa Yang, partagent l'idée d'un son vif, brillant avant d'être imposant. À ce parti pris s'oppose la sonorité cossue de Mathis Rochat et celle, survitaminée, de Volodia Van Keulen ; confrontation qui s'équilibre ici en un savoureux mariage. La danse rustique faisant office de trio sonne peut-être, sous les doigts de Shuichi Okada, d'une manière un peu trop aristocratique, mais une belle tenue du son permet d'unifier la forme d'un mouvement que l'on entend souvent trop décousu. Dans l'« Adagio », ce sont les voix intermédiaires qui s'illustrent. L'archet de Mi-Sa Yang est de ceux qui savent modeler le timbre en en faisant sentir l'épaisseur et l'élasticité. Il n'en fallait pas moins pour rendre justice à un mouvement aux contours harmoniques aussi troubles qu'exacerbés. Le finale est traité de manière bien plus lyrique qu'analytique : la forme, un sévère fugato, se suffit à elle-même et les musiciens, plus que jamais, polissent leurs admirables sonorités qui se déploient l'une après l'autre comme les différentes teintes d'une mosaïque : l'ensemble brille par la qualité des individus.