À 29 ans, Ye-Eun Choi donna ce soir son premier concert parisien en remplacement de Julia Fischer : et le public, avec raison, l’accueillit de façon fort enthousiaste. Il faut dire que la jeune violoniste coréenne ne manque pas d’atouts ; en premier lieu un admirable sens de conduite des phrases, qui l’incite à ne jamais prendre d’appui dans le premier solo du concerto, le traitant comme ce qu’il est : une longue et unique phrase, se développant comme une improvisation dans un souffle continu. Pour les mener, Ye-Eun Choi peut compter sur un violon à la sonorité très racée : la corde grave est dense, nourrie, les aigus éclatants. Le Concerto de Brahms, oscillant sans cesse entre ces deux tessitures extrêmes, et cultivant sa dramaturgie dans la tension résultant de cette confrontation des timbres, lui va à merveille. Mais le plus grand atout de Ye-Eun Choi est incontestablement la dextérité de sa main droite, et la remarquable inventivité qui en résulte dans la réalisation des coups d’archets spiccatos – : le son est tantôt percussif, mais avec beaucoup de résonnance, à la manière d’un tambourin (c’est évidemment tout particulièrement le cas dans le Final), tantôt très sec, avec le tranchant d’une lame qui viendrait taillader la corde. Dans le premier mouvement, la prise d’accords est d’une autorité impérieuse : le simple crissement de l’archet contre les cordes emplit la salle, et l’on se sent immédiatement écrasé par la verticalité soudaine et organique du discours musical. Dommage que le vibrato, assez serré, ne soit pas doué de la même inventivité et souffre d’un certain systématisme. En bis, un Andante de Bach du meilleur goût achève de nous convaincre de la maturité de la jeune germano-coréenne, formée par Anne-Sophie Mutter et surtout par la légendaire Ana Chumachenco, également professeur d’une certaine… Julia Fischer.
À ses côtés, l’Orchestre National de France offre une performance en demi-teinte. D’un côté, on est stupéfait par la sonorité plus qu’accomplie de certains pupitres de l’orchestre (le solo de hautbois de Mathilde Lebert, au vibrato suave, délicat, qui donne à l’ensemble une douceur cotonneuse ; le merveilleux pupitre de cors, au timbre perçant et héroïque). De l’autre, l’ensemble ne brille pas par la splendeur de son timbre : si les piano sont souvent réussis, les forte sont franchement lourds. Ce Brahms s’étire en s’égarant dans des tempi plus martials que dansants. Quand on sait qui est à la baguette, c’est aussi étonnant que regrettable.