Pour sa rentrée, l’Orchestre de Pau Pays de Béarn a élargi ses horizons habituellement symphoniques pour proposer une première session inédite à plus d’un titre. Il s’agissait tout d’abord de son premier partenariat avec la compagnie Opéra Éclaté, en coproduction avec Clermont Auvergne Opéra, l’Opéra de Massy et la SPEDIDAM. Bénéficiant du cadre désormais investi du Foirail, l’OPPB a donc mis à l'affiche un premier opéra palois aux dimensions adaptées : la dernière collaboration de Mozart et Da Ponte, Così fan tutte (1790). Si les numéros chantés sont proposés en version originale et surtitrée, les récitatifs sont traduits et joués en français, ce qui facilite l’adaptation et l’implication du public, notamment en ce qui concerne les sous-entendus grivois fort nombreux. En introduction, le chef Fayçal Karoui engagera d’ailleurs le public à s’exprimer tout au long du spectacle.

<i>Così fan tutte</i> par la compagnie Opéra Éclaté à Clermont Auvergne Opéra (en 2022) &copy; Nelly Blaya
Così fan tutte par la compagnie Opéra Éclaté à Clermont Auvergne Opéra (en 2022)
© Nelly Blaya

L’orchestre, en formation réduite comme la musique de Mozart le permet, est placé sur la droite de la scène, flanqué, à l’arrière, de deux grands réflecteurs acoustiques. Sur les trois autres quarts de la scène, un grand cadre fait de trois murs et – de part et d’autre – des mannequins portant les costumes qui serviront par la suite. L’ensemble du décor de Patrice Gouron est rouge (murs, fenêtres, portes, mobilier) pour mieux en faire ressortir les personnages et l’évolution de leurs costumes. C’est en effet l’âme humaine et ses errances qui sont au cœur de la pièce, ce que suit fidèlement la mise en scène. Les costumes intemporels proposés par Stella Croce sont plutôt blancs, contrastant avec le décor et marquant avec subtilité de passage de l’occidental vers l’oriental, quand les protagonistes masculins se déguisent pour mettre leurs fiancées à l'épreuve.

Cette scène constitue davantage une mise en abyme théâtrale, allégorie du piège que met en place Don Alfonso et, dans une moindre mesure, Despina, Ferrando et Guglielmo. Tel un deus ex machina, Don Alfonso domine du haut d’estrades l’ensemble du cadre, tirant çà et là les ficelles, et laissant croire que Ferrando et Guglielmo en tirent aussi. Mais une fois entrés dans le cadre, ils entrent aussi dans son jeu et sa manipulation. Despina joue quant à elle un rôle d’intermédiaire, à l’interface entre les manipulés et les manipulateurs. In fine, la faute des femmes, qui succombent à l’infidélité, est bien due à la manipulation et à l’insistance des hommes. Hormis quelques rares considérations (« Una donna a quindici anni »), le livret n’a pas vieilli en presque deux siècles et demi. Les lumières de Joël Fabing viennent habillement mettre un peu de porosité dans ce cadre lorsque la duperie s’entraperçoit dans le texte.

Volonté délibérée, les voix de femmes, Julie Goussot (Fiordiligi) et Ahlima Mhamdi (Dorabella) sont les plus claires et puissantes. En effet, les deux sœurs sont nettement au-dessus de la mêlée, avec des ambitus généreux et maîtrisés donnant notamment de beaux duos pleins de relief. Marielou Jacquard livre une Despina très maniérée et très scénique : ses travestissements (en docteur, en notaire, etc.) sont très réussis mais la chanteuse peine un peu plus dans les forte et par rapport à l’orchestre. La paire de Blaise Rantoanina (Ferrando) et Mikhael Piccone (Guglielmo) est excellemment comique, mais plus en-dessous vocalement, parfois débordés par un orchestre pourtant réduit. Le premier peine sur les cadences et longues tenues aiguës et le second opte parfois pour un chanter-parler-crier plus théâtral que lyrique, dans des moments habilement choisis toutefois. Jean-Gabriel Saint-Martin est lui plus incarné vocalement, stable et bien puissant, en un Don Alfonso narrateur et commentateur, mais avec, à l’inverse, moins de mimiques gestuelles.

La force de cette production réside donc principalement dans le travail scénique et théâtral : les trémolos de ces dames sont dus aux chatouilles de leurs amants, les vocalises de Dorabella à la fermeture un peu sportive d’un corset, et ainsi de suite. Le caractère grivois (scènes d’amour, prétendants se caressant de manière suggestive pour séduire) de la pièce est assumé, mais sans vulgarité. La danse de séduction des supposés princes albanais devient un pastiche de ce qui était déjà un stéréotype – les turqueries classiques – et, finalement, ces séducteurs pleins d’hubris sont volontairement ridiculisés par la mise en scène.

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