Ce soir, une grande table nappée d’un tissu jaune fait face à l’entrée de l’Auditorium de Radio France. Les spectateurs peuvent s’y procurer une jonquille en participant à l’opération Une Jonquille Contre le Cancer de l’Institut Curie. Pourtant, règne dans le hall une agitation inhabituelle, au point que le partenariat n’est pas mentionné lors de la présentation du concert. C’est en ouvrant le programme que l’on découvre le pot aux roses. Mikko Franck, souffrant, est remplacé, non par un chef, mais deux ! Remuant ciel et terre, Radio France a ainsi pu maintenir le programme initial : Pietari Inkinen montera sur le podium pour la Symphonie n° 7 « Leningrad » de Chostakovitch, œuvre qu’il a dirigée quelques semaines auparavant à Turin, après que Roland Hayrabedian, initialement chef de chœur sur cette production, aura assuré la création mondiale d'une nouvelle œuvre du compositeur étatsunien Geoffrey Gordon.

Celle-ci suscite la curiosité. D’abord son titre : Ses purs ongles très haut peut sembler pour le moins étrange, mais renvoie au premier vers du Sonnet en X de Mallarmé qui est la source d’inspiration de la partition. La mise en musique des vers d’un des plus illustres poètes français a souvent accouché de chefs-d’œuvre, en premier lieu avec le Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy, ou encore les Trois Poèmes de Ravel. Concerto pour clarinette qui ne dit pas son nom, Ses purs ongles très haut, qui convoque également un chœur, intrigue également par l’effectif qu’il mobilise.

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Jérôme Voisin, Roland Hayrabedian et l'Orchestre Philharmonique de Radio France en répétition
© Dimitri Scapolan / Radio France

Le public peut apprécier toute l’étendue des possibilités de la clarinette. Virtuose, Jérôme Voisin enchaîne les interventions piquantes, les trilles, les soufflets, les longues phrases, les glissandi, tant dans le grave que dans l’aigu. Pour beaucoup, les quelques sons multiphoniques qui sortent de l’instrument sont une découverte bluffante. Clarinette solo de l’Orchestre Philharmonique de Radio France qui l’accompagne ce soir, l’artiste nous montre deux facettes : un jeu fondu dans l’orchestre pendant le premier mouvement puis une mise en avant davantage solistique dans le second, avant une approche hybride dans le finale, où il intervient pour ponctuer les interventions du chœur qui déclame le Sonnet en X.

L’œuvre est foisonnante, mais rapidement lassante. Chacun des deux premiers mouvements est construit sur un motif simple (le balancement d’une cellule de deux notes resserrées pour le premier, un ample intervalle en soufflet pour le second) que viennent briser des péripéties orchestrales. Si cela peut être cohérent avec la volonté d’illustration du rythme du poème, intentionnellement bancal par sa ponctuation et ses retours à ligne, la systématisation du processus ennuie l’oreille. Dans une partition favorable à la dissonance, on comprend peu le texte chanté par le Chœur de Radio France, souvent très fort, contrairement à ce qu’on aurait pu imaginer d’une mise en musique de la langue mallarméenne. Les éclats des cloches tubulaires, harpe, piano et contrebasses qui l’accompagnent restent toutefois intéressants en tant que réminiscence des résonances des vers énigmatiques du poète français.

La symphonie de Chostakovitch laissera également un souvenir mitigé. La variété et le travail des textures sonores sont prégnants : l’énergie volontaire des cordes au début de l’œuvre, leur son choral de cathédrale dans les deuxième et troisième mouvements, le mélange des timbres de la flûte et des violons dans le premier mouvement, les ambiances ténébreuses des graves de l’orchestre, notamment des bassons, l’élan du finale comme appesanti après toute l’aventure de la symphonie sont autant d’éléments réussis. L’interprétation générale aura cependant manqué de tranchant. La longue marche du premier mouvement est à ce titre éloquente : sans homogénéité collective et cohérente dans les attaques et les longueurs de son tout du long, elle n’a pas le caractère de rouleau compresseur qu’un geste plus sec aurait produit.

Pietari Inkinen © Kaupo Kikkas / DRP
Pietari Inkinen
© Kaupo Kikkas / DRP

La direction d’Inkinen, bien que claire, est enrobée d’une souplesse qui ne définit pas précisément le temps. Ainsi dès que l’inertie rythmique de la musique cesse, de nombreux micro décalages contribuent à diminuer l’impact du tout. Certaines phrases de l’« Adagio » dans la nuance piano ne semblent par ailleurs pas guidées par une vision de long terme de la part du chef. L’orchestre se montre toutefois capable de suivre une dynamique d’ensemble inébranlable un fois lancé, à l’image du motif de deux pizzicati du troisième mouvement, comme des battements de cœur, ou encore des trémolos de flûtes du second, à la synchronicité parfaite. Loin d’être fleur bleue, l’interprétation du soir aurait avantageusement bénéficié de quelques coups de sécateur pour tailler une proposition véritablement marquante.

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