30 Appearances out of Darkness d'Arno Schuitemaker propose un espace où la lumière et l'obscurité, les corps et le mouvement se fondent dans une expérience sensorielle dense et immersive. Ce spectacle, présenté au Centquatre mercredi et jeudi dernier dans le cadre du festival Beaux Gestes, se déploie en deux parties, où la danse s’efface presque pour laisser place à un dialogue intime entre les corps nus des danseurs et les ombres mouvantes qui les enveloppent. Tout se joue dans la répétition des gestes, les vagues de leurs corps qui, lentement, se transforment en phasages subtils, avant de s’unir dans un dernier tableau qui crée enfin une rencontre fugace entre l’individuel et le collectif.

Dès le début, le spectateur est plongé dans une atmosphère étouffante. Les corps nus des danseurs émergent lentement dans une lumière très basse, comme malade. Leurs mouvements, d’abord fragiles, prennent peu à peu une forme plus fluide, une danse organique qui, sur un fond d'électro ténu, semble naître du silence. Chaque geste, chaque ondulation de leurs corps semble découler d'une nécessité intérieure, comme un souffle primordial. Les tressaillements qui parcourent leurs membres deviennent des vagues incessantes, des pulsations qui cherchent à échapper à l’obscurité.
La répétition est au cœur de cette première partie. Les gestes se succèdent, se superposent, se transforment, mais sans jamais se répéter exactement de la même manière. C’est dans cette variation subtile que l’œuvre prend son ampleur : la danse se déploie comme un espace clos, un lieu d’introspection où la tension entre l'ombre et la lumière devient palpable. Chaque mouvement, aussi minimal soit-il, semble avoir une signification, une résonance qui échappe à l’œil du spectateur, comme une mémoire persistante qui ne se montre que par bribes.
Puis vient la rupture. Les rideaux noirs, partie intégrante de la scénographie (composant une sorte de labyrinthe), tombent soudainement au sol. Cet acte simple et silencieux implique une modification de l'espace, comme un passage entre deux réalités. L’obscurité qui avait enveloppé les corps des danseurs ne se dissipe pas pour autant mais le champ de vision s'élargit.
Dans cette deuxième partie, les mouvements des danseurs deviennent plus synchronisés, plus définis. Ce qui était fluide et désorganisé se transforme en un phasage plus net, une sorte d’harmonie collective. Les corps, jusque-là dispersés, trouvent une unité. Mais cette union, bien que plus visible, n’efface pas les tensions laissées par la première partie. La lumière, désormais plus claire, révèle des corps qui semblent plus proches, mais qui, étrangement, gardent une distance naturelle (soulignée notamment grâce aux effets stroboscopiques). Le rapprochement des danseurs évoque plutôt l’idée d’une coexistence fragile, comme un équilibre toujours à préserver.
Ce changement de rythme et de texture, marqué par la chute des rideaux, permet à la pièce de se réinventer, mais laisse une impression de recherche inachevée. Les gestes restent répétitifs, monotones, et bien qu’ils dessinent une nouvelle structure, cette continuité dans la répétition donne le sentiment que chaque mouvement renvoie à une quête infinie.
Malgré la beauté de la chorégraphie et l'assurance des interprètes, l’œuvre de Schuitemaker souffre parfois de sa propre lenteur. La répétition, qui constitue un principe majeur, finit par devenir une limite, une manière de capturer le temps dans une boucle qui ne s’épanouit jamais totalement. Le spectateur, pris dans cette mécanique des corps, flotte dans un espace suspendu entre fascination et ennui, entre immersion et distanciation.
Finalement, ce n’est pas tant dans la combinaison des gestes que dans leur contemplation que 30 Appearances out of Darkness trouve sa force. Le corps, ici, devient un medium entre l’ombre et la lumière, un espace de transformation qui semble sans fin, mais toujours hors d’atteinte. La pièce reste dans cet entre-deux, suspendue entre le visible et l’invisible, dans une tension qui ne trouve jamais de véritable résolution.

