Une heure avant le lever de rideau, l’Opéra de Nice a choisi de convier les spectateurs à une expérience singulière : l’entrée se fait par les coulisses, où le public découvre les décors du Barbier de Séville en avant-première, baignés dans une atmosphère de fête électro chic. Une DJ aux platines, un bar à champagne, et surtout, la comtesse Rosina en personne – celle des Noces de Figaro et de La Mère coupable – nous accueille, en version âgée. Car cette mise en scène du Barbier s’inscrit dans une trilogie, à la fois hommage et relecture. Tout l’opéra se déroule sous l’œil de cette comtesse qui se souvient, avec sa version jeune à ses côtés. Toujours en binôme sur scène, les deux Rosina deviennent le fil rouge d’un récit revisité, entre nostalgie, fantaisie et vertige temporel.

Le spectacle commence par une vidéo, en français, montrant une dispute conjugale d'une rare violence. Le contraste avec l’exubérance attendue de Rossini est saisissant. La mise en scène de Benoît Bénichou bouscule les repères. Elle mêle des éléments d’esthétique baroque – perruques, maquillage inspiré de la commedia dell’arte – à des détails du quotidien contemporain, comme des magazines datés de 2003 ou des tenues modernes dans les dernières scènes.
Le décor, dominé par un cube central représentant les salons de la comtesse, est d’un raffinement visuel indéniable. Les projections vidéo – gros plans sur des visages, images de foule, de chien ou de mains – ajoutent à cette impression d’une mémoire instable. L’éclairage, quant à lui, accentue les effets de contraste : il colore soudainement les habits blancs des personnages, ou plonge la scène dans des jeux d’ombres angoissants. Certaines scènes du second acte flirtent même avec une noirceur inattendue, comme lors du finale : au moment des réjouissances, la comtesse âgée, à terre, enchaîne les verres dans une solitude douloureuse.
Si le concept est fort, il souffre parfois d’un manque de clarté. On se perd dans les allers-retours entre les strates temporelles, et le sens profond de certaines images échappe au spectateur. Heureusement, la musique soutient avec constance cette proposition audacieuse. L’Orchestre Philharmonique de Nice, dirigé avec souplesse par Lucie Leguay, fait preuve d’une légèreté bienvenue, particulièrement dans les transitions et les crescendos, menés avec précision dès l’ouverture.
Du côté des voix, Dave Monaco offre un comte Almaviva à la voix légère et agile, dans une ligne belcantiste souple mais trop discrète, souvent couverte par l’orchestre. Même constat pour Gurgen Baveyan, Figaro très expressif mais au timbre trop peu projeté. Marc Barrard campe un Bartolo caricatural, avec une diction nette et un vrai sens du comique. Les récitatifs sont globalement plus réussis que les airs, parfois timides. À ce jeu, la mezzo-soprano Lilly Jørstad se distingue nettement : sa Rosina rayonne grâce à sa voix claire, précise, agile, et grâce à une technique irréprochable dans les ornements comme dans les sauts d’intervalles. On retiendra aussi la basse solide d’Adrian Sâmpetrean en Basilio, ainsi que la vivacité scénique de Cristina Giannelli en Berta. Le Chœur de l'Opéra de Nice se montre investi, avec une belle complicité dans les ensembles.
Malgré quelques flottements, cette version du Barbier étonne, interroge et offre une vision audacieuse d’un opéra souvent figé dans ses conventions. Une soirée inclassable, entre souvenirs et métamorphose.