Le programme initial (augmenté d'une introduction orchestrale : la Fuga e grave en sol mineur pour cordes de Johann Adolph Hasse) invite à méditer sur la souffrance, la mort, perçues toutefois comme des sortes d'accident. Une forme de restauration morale voire physique de l'intégrité humaine s'affirme jusqu'à la jubilation. Loin de simples consolations, l'Alleluia de l'Exsultate de Mozart et du Stabat Mater de Pergolèse notamment créent un enthousiasme - étymologiquement parlant - que les musiciens illustrent fort bien.
Célèbre à son époque, Hasse (1699-1783) rencontre les arts allemand et italien pour lesquels Marc Minkowski et les instrumentistes ménagent des sonorités anciennes rendant leur vitalité aux œuvres oubliées et les sonorités plus modernes que le large répertoire des Musiciens du Louvre sait offrir. Cette Fuga est un véritable bouquet de chromatismes, de brillantes entrées fuguées confiées aux différents pupitres, de notes subtilement détachées se composant avec les legato demandés. Comme tout au long de la soirée, la direction de Marc Minkowski est extrêmement fluide. Puissance et cohésion de l'orchestre impressionnent rendant fidèlement les nuances aussi bien dans les forte que dans les piano. Exécution parfaitement soignée créant une véritable communion entre le public et les musiciens. La brève partie centrale (14 mesures) notée Grave peint une sombre atmosphère où l'orchestre propose une autre et somptueuse image de ses talents lyriques.
La partie vocale est confiée à Anna Devin et Teresa Iervolino, jeunes cantatrices respectivement irlandaise et italienne. On notera, le concert durant, la rigueur et la justesse de l'instrumentation où le rôle accompagnateur de l'orchestre est porté à la quasi perfection, soulignant les lignes mélodiques du chant, le timbre et le grain des voix, sans les effacer ni s'effacer davantage derrière les deux cantatrices. L'originale (avec tintement de cloche) et très émouvante aria «Schlage doch, gewünschte Stunde» pour contralto, cordes et orgue fait entendre la voix de Teresa Iervolino dont l'expression recueillie et la voix profonde, qui n'est pas sans faire penser parfois à Kathleen Ferrier, correspondent bien à l'esprit de l'œuvre : la prière d'un agonisant. Toutefois, on pourra trouver de temps à autre un peu excessifs certains gestes de théâtralisation qui n'ajoutent rien, au contraire, au chant.
Dans le brillantissime et célèbre Exsultate Jubilate de Mozart, Anna Devin prend rapidement de l'assurance en ajustant son vibrato et son timbre. Une technique impeccable avec une mobilité étonnante du larynx permettant de remarquables trilles, vocalises, sauts d'intervalles, sans compter une belle puissance toujours disponible. L'expression d'une émotion ne semble survenir que plus lentement. Le récitatif révèle un talent de grande mozartienne et la seconde partie Tu virginum corona est particulièrement saisissante : la rigueur technique ne se dément pas tandis que s'installent un profond recueillement et une certaine tendresse. La cadence finale laisse entendre une voix rayonnante. L'Alleluia, clé de voûte de la pièce entière, est attaqué de manière claire, distincte, énergique. La voix est fluide dans les doubles croches et les sauts d'intervalles ; l'ensemble est souple et homogène y compris jusqu'au La4. Mais ici de nouveau, sans nuire toutefois à la qualité musicale, un soupçon de théâtralité apparaît sans que sa nécessité pour l'auditeur ne soit évidente.
Les 12 parties du Stabat Mater de Pergolèse alternent les duos et les solos des deux cantatrices, sans chœur. La Mezzo-soprano brille d'emblée dans l'abord de la première partie et ensemble avec la soprano cisèlent finement l'harmonie complexe des voix ainsi que l'exécution commune et exigeante des trilles alternées et des nuances. Le rythme ternaire 3/8 de la deuxième partie, Cujus animan gementem, donne un relief particulier à ce passage que l'orchestre et la soprano mettent parfaitement en valeur. Parmi les duos, l'interprétation du second, O quam tristis et afflicta pourrait être entendue de manière intéressante : Teresa Iervolino semble tenir le sujet tandis que le contrepoint de la soprano serait davantage destiné à remplir une fonction ornementale. Le rôle majeur ainsi joué par la mezzo-soprano se confirme lors des duos ultérieurs et des solos qui lui reviennent : la chaleur de son timbre et l'excellence de sa technique sont largement convaincants. Non moins convaincante est la valeur musicale et expressive d'Anna Devin qui possède de grandes ressources en termes de puissance, de souffle, de portée, de brillance. De plus, ces qualités sont mises au service de la musicalité : recherche constante d'un équilibre, d'une connivence dans le rapport avec l'orchestre et avec l'autre soliste ; on note, en particulier, une maîtrise accomplie et juste du crescendo-decrescendo allant du ppp au fff et inversement. Les deux solistes partagent la même vitalité par laquelle elles habitent à la fois la musique et le texte.
La superbe impression d'ensemble retirée de cette soirée est, à vrai dire, indissociable de l'implication aussi totale que sobre, efficace et généreuse du chef, Marc Minckowski.