Même en Suisse, la SNCF a encore sévi ! Un TGV Lyria supprimé en dernière minute empêchera Théotime Langlois de Swarte à la tête de l’ensemble Le Consort d’offrir ses dissertes explications sur le programme autour des Quatre Saisons de Vivaldi, au public du Lavaux Classic réuni pour l’occasion au temple de Cully. Quelques mots d’introduction, non sans humour et dérision sur la situation ferroviaire ubuesque, suffisent pour nous renvoyer plutôt vers un documentaire filmé à Venise qui leur est consacré autour des 300 ans de l’œuvre, et qui vient d’être diffusé sur Arte. Et nous voilà lancés dans un programme inopinément amputé. 

Théotime Langlois de Swarte © Michel Bertholet
Théotime Langlois de Swarte
© Michel Bertholet

Alors même que pour ce concert l’ensemble est recomposé par quelques membres extérieurs à la formation originelle, dès l’aria introductif de Giovanni Legrenzi extrait de La Divisione del mondo, nous est offerte sur un plateau d’argent la qualité fondamentale de ce groupe qui fait corps et cœur dans une profonde et réjouissante camaraderie. La complicité est partout, entre deux sourires, une reprise précipitée, un silence soutenu ou des nuances nettes et marquées, et se transmet assurément au public dans un programme fondamentalement joyeux, réjouissant et vivifiant. Tout est huilé, organisé et comme souvent quand il s’agit de bonne musique, parait extrêmement évident et naturel. En ce sens, les premières mesures de l'« Allegro non molto » de L’Hiver sont un manifeste des capacités de l’ensemble. Est ainsi mise en exergue cette capacité à pouvoir collaborer et ici mener une accélération progressive, sur une seule ligne, dans un dess(e)in précis et donc vertigineux.  

Théotime Langlois de Swarte dirige ce petit ensemble ménageant ici et là des respirations, des suspens éloquents. Ses liés sont toujours très denses mais élégants. Dans l'« Allegro vivace » du Concerto pour violon en ré mineur RV 813, comme souvent ailleurs, la vitesse d’exécution ne l’empêche pas de travailler ses cordes en profondeur. Et depuis le centre de ce dispositif musical, en soliste ou chef d’ensemble, il parvient à dialoguer à merveille avec les musiciens qui l’entourent, dans des jeux de questions-réponses étourdissants. Ils obtiennent un magnifique camaïeu de cordes dans le « Largo » du Printemps

Parfois les rôles s’inversent et les instrumentistes déploient des dynamiques, des parties solistes et sonorités propres. C’est le cas de la violoncelliste Hannah Salzenstein, qui sans cesse assure une assise pérenne, délicate mais profonde aux mélodies. Dans L’Hiver, elle tricote avec son archet d’une maestria qui nous laisse pantois, dans un « Largo » pris à la vitesse d’une bourrasque de neige ! Les autres violons ne sont pas en reste, allant chercher des profondeurs de cordes besogneuses tout à fait telluriques (la fin de L’Hiver), campagnardes et goguenardes à souhait (la « Danse pastorale » du Printemps et l'« Allegro » de L’Automne) ou absolument frénétiques (le « Presto » de L’Été). Dans l'« Adagio molto » de L’Automne, comme sur un nuage, on ne sait plus qui dirige et l’ensemble entier s’envole et surnage, mais dans la main.    

Le son de l’ensemble est extrêmement clair, boisé, percussif, dynamique et rafraichi, comme un tableau auquel on aurait enlevé les nombreuses couches de vernis apposé au fil des années, pour mieux en révéler les couleurs. De fait, si l’on ne découvre pas ici une lecture fondamentalement nouvelle des Quatre Saisons, on est en revanche saisi par l’extrême brillance de l’exécution et l’urgence remise sur le métier par l’ensemble Le Consort pour une œuvre qui nous regarde par-delà trois siècles. Un bis seulement de l’Anglais Charles Avison « qui détestait Vivaldi », un salut, et le concert est plié, dans une bourrasque d’été. C’est que la SNCF n’attend pas, même quand il s‘agit de musique et surtout quand elle est fautive…

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