Le moins qu'on puisse dire est que le prologue de la Tétralogie de Wagner proposée par l'Opéra de Paris n'avait pas convaincu en février dernier. Malheureusement et logiquement, la suite conduit au même diagnostic, La Walkyrie ne dérogeant en rien aux principes de la mise en scène, des décors et des costumes qui ont suscité critiques et incompréhensions dans L'Or du Rhin.

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La Walkyrie à l'Opéra de Paris
© Herwig Prammer / Opéra national de Paris

Il semble y avoir chez Calixto Bieito une esthétique de la laideur qui finit par confiner au ridicule. Quelle originalité confondante que cette transposition du Walhalla dans l'univers froid et déshumanisé d'une usine désaffectée et d'un data center glauque ! Quelle perspicacité dans le recours à des accoutrements de sauveteurs/pompiers, à des vêtements de clochards et à ces masques à gaz dont Wotan se recouvre à intervalles réguliers, et qu'il finit par étaler sur le devant de la scène comme pour bien faire comprendre au public les intentions du metteur en scène espagnol ! On se tord de rire à voir Brünnhilde chevaucher un manche à balai, ou un chien-robot la menacer, puis les Walkyries apparaître en robots humanoïdes. Pourquoi n'avoir pas aussi remanié le texte de Wagner lui-même qui, dans ce contexte, paraît d'autant plus grandiloquent et suranné ?

À défaut de s'y retrouver dans la mise en scène, on essaie de trouver de l'intérêt à ce qui se passe du côté de l'orchestre et des chanteurs. Cette Walkyrie s'ouvre par un prélude d'une modernité qui nous a toujours sauté à la gorge, tant au disque qu'à l'opéra. Cette tempête haletante, éperdue, confiée aux cordes, se résume ici à une précipitation certes virtuose mais qui tombe à plat lorsque les cuivres entrent dans la danse. Ce sera d'ailleurs une constante dans tout l'ouvrage, même dans la chevauchée des Walkyries – c'est à peine si on les entendra ! La direction de Pablo Heras-Casado ne sortira jamais d'une platitude soporifique, d'une lecture sans relief que ne compensera pas la qualité d'ensemble de l'orchestre.

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La Walkyrie à l'Opéra de Paris
© Herwig Prammer / Opéra national de Paris

Heureusement, le premier acte met en présence le véritable héros de la soirée, le Siegmund de Stanislas de Barbeyrac. On ne se rappelle pas avoir entendu un ténor français incarner à ce point d'excellence un rôle exigeant entre tous. Stanislas de Barbeyrac, qu'on a connu idéal dans Mozart, conserve, en toutes circonstances, une aisance vocale, un timbre aussi viril que chaleureux, use de ses réserves de puissance sans jamais cesser de bien chanter. Et quelle humanité, quelle noblesse, dans son jeu comme dans sa ligne de chant ! C'est aussi le seul qui ne soit pas trop maltraité par la mise en scène, à la différence de sa partenaire, Sieglinde, que Bieito oblige à des contorsions, à des poses souvent vulgaires, comme si tous les rôles féminins devaient être ainsi rabaissés, au point qu'Elza van den Heever s'en trouvera inutilement corsetée alors qu'elle a d'évidence de somptueux moyens vocaux. Le sublime duo Siegmund-Sieglinde qui clôt le premier acte n'en sera heureusement pas affecté, contrebalançant l'intervention nettement moins convaincante de Günther Groissböck en Hunding.

Le deuxième acte est un long tunnel d'ennui, malgré des chanteurs qui font ce qu'ils peuvent pour animer des moments dramatiquement faibles : ce soir c'est Christopher Maltman qui remplace Ian Paterson en Wotan. Il compense en humanité le déficit de puissance et de noirceur d'une belle voix de baryton, et il assume crânement les lubies d'un metteur en scène qui transforme les adieux de Wotan en danse guillerette. En Brünnhilde, Tamara Wilson finira par descendre de son manche à balai à tête de cheval et par quitter son ample robe bleue pour finir l'opéra vêtue comme une catcheuse, oscillant constamment entre force brutale et douleur éplorée. On ne cherche plus à comprendre ce qu'on voit, on écoute et on attend la fin d'un acte où la seule activité des protagonistes semble être l'arrachage des câbles des armoires d'un data center où sont entreposés des dossiers papier que Wotan et Brünnhilde dispersent rageusement.

<i>La Walkyrie</i> à l'Opéra de Paris &copy; Herwig Prammer / Opéra national de Paris
La Walkyrie à l'Opéra de Paris
© Herwig Prammer / Opéra national de Paris

Le troisième acte accueille huit Walkyries, très bien chantantes, accrochées à un mur d'escalade. Pour l'auditeur, mieux vaut lâcher prise : on retrouve alors avec bonheur les voix de Tamara Wilson, Christopher Maltman et Elza van den Heever, plus épanouies et rayonnantes au moment de conclure l'opéra.

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