Après plus de trente ans d’absence de l’œuvre à Toulouse, et avec de nombreuses prises de rôle, la nouvelle production du Vaisseau fantôme de l’Opéra National du Capitole était très attendue. Après Elektra, Ariane à Naxos et Wozzeck, Michel Fau signe au Capitole sa quatrième mise en scène d’un opéra du grand répertoire austro-allemand, mais surtout son premier Wagner, un créateur qu’il aime et connaît profondément.

<i>Le Vaisseau fantôme</i> au Théâtre du Capitole de Toulouse &copy; Mirco Magliocca
Le Vaisseau fantôme au Théâtre du Capitole de Toulouse
© Mirco Magliocca

Comme dans la plupart de ses projets (et notamment ses redécouvertes du théâtre parisien du XXe siècle), il choisit une scénographie pleinement inscrite dans l’époque et le lieu de l’histoire (la fin du XVIIe siècle en Norvège) et de la création de l’œuvre (en 1843 à Dresde). Il se réfère également aux nombreuses indications scéniques présentes dans les didascalies du livret de Wagner. Foin donc de relecture contemporaine ou d’éléments dramaturgiques ajoutés. Mais plutôt un jeu d’acteur sobre et juste, et un respect assumé de l’esthétique originelle de l’œuvre. 

Ainsi le rideau se lève sur la splendide image du navire de Daland sur fond de ciel tumultueux, avec des toiles peintes du décorateur Antoine Fontaine, en écho aux peintures romantiques d’Europe du Nord. Idem pour les costumes de Christian Lacroix, notamment ceux de Senta et de ses compagnes qui arborent de splendides robes traditionnelles scandinaves ornées de motifs colorés et brodés.

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Le Vaisseau fantôme au Théâtre du Capitole de Toulouse
© Mirco Magliocca

Par une trouvaille de machinerie théâtrale, ce décor marin devient au début l’acte II un grandiose tableau en relief : le portrait peint du Hollandais qui fascine tant Senta s’élargit à l’ensemble des autres ingrédients du drame, le vaisseau, l’océan, et avec eux la malédiction, l’errance, le fantasme du sacrifice et de la rédemption. Si bien qu’à la fin de cet acte le Hollandais sort littéralement du tableau pour rejoindre à l’avant-scène une Senta subjuguée. Et avec un éclairage diffusé depuis une rampe posée en nez de scène (comme cela se faisait jusqu’au XIXe siècle avec l’éclairage à la bougie), les visages et les ombres portées sont d’autant plus mystérieux et fantomatiques.

Le casting vocal se révèle de tout premier ordre, marqué par de nombreuses prises de rôles réussies. Dans le rôle d’Erik, le fiancé désespéré de Senta, la musicalité et le timbre d'Airam Hernández sont absolument formidables. Avec son ample timbre de bronze, la basse Jean Teitgen est impressionnante dans le rôle de Daland, celui d’un père cupide et tourmenté, représentant aujourd’hui caricatural du patriarcat de cette époque.

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Le Vaisseau fantôme au Théâtre du Capitole de Toulouse
© Mirco Magliocca

Mais la prise de rôle la plus éclatante est celle de la basse russe Aleksei Isaev dans le Hollandais : le diamant noir de sa voix, son timbre sombre et puissant sont magnifiques dans ce rôle de hoher bass. Ayant été contrainte de renoncer pour des raisons personnelles à ses débuts dans Senta, Marie-Adeline Henry a été remplacée voici deux semaines par la grande soprano dramatique suédoise Ingela Brimberg. Celle-ci fait ainsi ses débuts au Capitole, où sa connaissance du rôle et sa solide expérience lui ont permis de s’intégrer rapidement. Sa voix possède la richesse de timbre, l’ambitus et la projection nécessaire à ce rôle très tendu, même si ponctuellement son vibrato se montre un peu trop large. Dans les rôles secondaires, deux jeunes chanteurs français font preuve d’un talent prometteur : la mezzo Eugénie Joneau dans le rôle de Mary, et le ténor Valentin Thill dans celui du pilote.

L’Orchestre du Capitole fait merveille dans une partition où l’orchestre a un rôle capital, incarnant tantôt le flux incessant des flots, tantôt la psychologie et les tourments des personnages. Il est dirigé par le grand chef wagnérien Frank Beermann, de retour dans la fosse toulousaine deux ans après Tristan et Isolde. Son interprétation est d’un romantisme parfaitement équilibré, avec ce qu’il faut de tension et d’embrasement dans les moments dramatiques, et de poésie dans les moments intimistes.

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Le Vaisseau fantôme au Théâtre du Capitole de Toulouse
© Mirco Magliocca

Les cordes, les bois, les cuivres sont tous impeccables. Les solos du cor anglais, du hautbois et les redoutables parties de cors sont merveilleusement interprétées. Autre protagoniste important, le Chœur du Capitole fait preuve d’une belle homogénéité et musicalité, tant dans l’acte I (le chœur des marins norvégiens) que dans l’acte II (le très mendelssohnien chœur des fileuses). Et quand à l’acte III ils sont rejoints par d'autres choristes incarnant les effrayants marins hollandais, leur puissance sonore conjuguée devient réellement stupéfiante, offrant un des sommets de cette magnifique nouvelle production.

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