Dans le cadre de la Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions, l’Opéra National de Bordeaux a proposé une nouvelle production de l’unique – et très peu donné – opéra de Scott Joplin, Treemonisha. Œuvre composée en 1911, elle ne sera exhumée et jouée dans son entièreté avec mise en scène que plus de cinquante ans après la mort du compositeur, en 1972. Suivant une jeune Afro-Américaine adoptée, l'histoire prend place dans les communautés noires du sud des États-Unis récemment libérés de l'esclavage mais en proie à d'autres formes de manipulation. Grâce à son éducation, l'héroïne guide son entourage sur le chemin de la liberté.

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Treemonisha à l'auditorium de Bordeaux
© Pierre Planchenault

Adoptant une configuration à mi-chemin entre version concert (piano et percussions étant sur scène) et version scénographiée (avec mise en scène, chorégraphie et décors minimaux), l’ensemble a cherché à s’adapter au mieux au plateau de l’auditorium bordelais, visible sur 360°.

La direction de Salvatore Caputo reste minimale et formelle, le pianiste Martin Tembremande lui jetant quelques regards ponctuels pour relancer les numéros après les applaudissements. Bien réglé par celui qui est son chef depuis dix ans, le Chœur de l'Opéra de Bordeaux fait corps dans les moments d’émotions collectives et les solistes s’y replongent sans difficulté. Les choristes participent activement aux moments chaleureux des danses et ragtimes qui ponctuent la pièce et qui sont finalement les plus réussis. Quant à la performance des instrumentistes, elle est impressionnante !

<i>Treemonisha</i> à l'auditorium de Bordeaux &copy; Pierre Planchenault
Treemonisha à l'auditorium de Bordeaux
© Pierre Planchenault

Le spectateur est accueilli par un décor champêtre constitué de bottes de paille, matériau qui va être au cœur de la gestuelle et de sa sonorisation sur scène. À défaut de rideau, les fins d’actes sont indiquées par des noirs quasi-instantanés. Les costumes de Marion Benagès cherchent l’intemporalité et la bigarrure, fournissant un cadre générique et non spécifique à cette communauté afro-américaine de la fin du XIXe siècle dans les états du sud. Il faut dire que la proposition de relecture détaillée par Claire Manjarrès dans le programme se veut aussi épurée et centrée sur une interprétation symboliste et universaliste.

Treemonisha est finalement ramenée à l’homme sortant de la caverne de Platon, ce dans une quête de bonne entente contemporaine entre les peuples et communautés. Le livret en souffre quelque peu, vidé de tout moment d’humour, et conduisant parfois à des incohérences : Treemonisha captive se retrouve sur un bûcher très jeannedarcquien, un des ravisseurs brandissant un briquet, alors que le texte propose de la jeter dans un nid de guêpes… Ajoutons à cela une diversité inexistante sur scène comme dans le public : on est bien loin de l’esprit de l’œuvre initiale.

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Treemonisha à l'auditorium de Bordeaux
© Pierre Planchenault

Sur le plan vocal et théâtral, le plateau est convaincant. Parmi les rôles les plus développés, Marjolaine Horreaux est impeccable en Treemonisha, avec une voix très lyrique, claire et bien ornée. Amélie de Broissia livre une Monisha touchante, avec corps et chaleur. Du côté des hommes, Loïck Cassin aka Ned met bien sa voix au service de l’évolution de son personnage, qui revit au fur et à mesure que sa fille adoptive doit être défendue et revient dans la communauté. En revanche, Olivier Bekretaoui en Remus sature vite dans les aigus et forte. La voix de Simon Solas marque un Parson Alltalk péremptoire et faussement posé, qui manipule la foule. Enfin, Jean-Philippe Fourcade et Mitesh Khatri misent plutôt sur la voix brisée et quasi parlée pour incarner respectivement le bandit Zodzedrick et l’honnête Andy. En ressort un contraste global entre voix d’opéra et voix de comédie musicale, voix féminine et voix masculine qui fonde le charme, mais aussi les limites de l’œuvre singulière de Scott Joplin.


Le voyage d'Arnaud a été pris en charge par l'Opéra National de Bordeaux.

***11