Fruit d’une série de trois résidences locales et de la collaboration entre les compagnies À bout de souffle et Avant l’incendie, une proposition de relecture de L'Orfeo de Monteverdi, œuvre fondatrice de l’opéra moderne, était proposée en cette fin septembre à Toulouse : Orfeo (mourir peut attendre). Les spectateurs ont reçu par mail un traditionnel carton d’invitation : Orphée et Eurydice ont enfin décidé de se marier. La cérémonie aura lieu dans la Chapelle des Carmélites, bijou toulousain caché et récemment rénové.

Accueillis sur le parvis de la bibliothèque d’étude et du patrimoine, les invités-spectateurs sont conviés à déguster une citronnade en attendant les mariés. Les chefs Victor Ginicis et Stéphane Delincak jouent la montre en proposant une photo de groupe, et évoquent les parents-figurants du jeune couple : Œagre, Calliope, etc. Ils apprennent aussi au public le chant en l’honneur des futurs mariés : « Viva Orfeo ! Viva Euridice ! Viva ! » Lesdits mariés arrivent bientôt sur une Vespa, klaxonnant, applaudis par la foule en délire de spectateurs et des membres du chœur, venus entretemps.
On retient trois points majeurs dans cette relecture qui condense les actes I et II ainsi que le début de l’acte III de l’œuvre originale. D’abord, une volonté d’un spectacle vivant et évolutif qui sort le public de son traditionnel rôle de spectateur immobile et silencieux, dans la veine de la proposition récente de Raphäel Pichon et Pygmalion sur un autre Orphée, celui de Gluck. Les invités et les artistes discutent, comme dans une cérémonie de mariage où tout le monde ne se connaît pas encore. Le lieu lui-même change : du parvis de la bibliothèque, on passe à l’entrée de la chapelle où une première partie a lieu, avant de rejoindre l’intérieur qui servira à la fois de paradis terrestre pour le mariage, puis d’entrée dans les Enfers et l’apparition de Charon. Les spectateurs sont placés de part et d’autre d’un podium central et la salle est utilisée à 100% et sur 360°. Musiciens, chanteurs et chef se déplacent ainsi d’un numéro à l’autre.
Cette relecture passe aussi par un travail musical fouillé, qui ressort via deux éléments. Tout d’abord les clins d’œil à la contemporanéité avec des citations ou mélodies strictement contemporaines – par exemple le motif bien connu de Seven Nation Army des White Stripes parmi les mélodies d’accueil. Ensuite, un travail sur les timbres et l’instrumentation des numéros conservés de L'Orfeo original. Les lignes baroques sont enrichies par des timbres originaux comme l’accordéon ou le clavier électrique. Les figuralismes prennent eux une nouvelle dimension avec un travail notamment sur les battements du cœur (batterie), les respirations (effets et imitations instrumentales) ou encore des cris (saxophone basse).
Les voix quant à elles restent plus classiques dans leur traitement, hors vocalises transformées en rires : Pierre Barret-Mémy (Orphée) est très puissant, jouant avec l’acoustique du lieu, mais manque sans doute de pathos lors de la mort d’Eurydice. Cette dernière, volontairement plus discrète et hésitante, est incarnée par Camille Suffran. Elle n’est toutefois pas en reste : jouant du violon baroque tout en courant en crocs dans la salle et sautant sur l’estrade, puis restant gisante la dernière demi-heure. Vocalement, Julie Mathevet (la Messagère) est la plus impressionnante, captivant le public avec un ambitus large et une belle palette de nuances, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du lieu. Le chœur de Stéphane Delincak est très juste et bien réglé.
La dernière force de la proposition est le travail sur l’actualisation théâtrale, dans la suite de l’actualisation musicale. Un brin d’humour, en lien avec la musique, des déplacements de lieux d’énonciation rendent l’ensemble efficace. Pour exemple, l’arrivée aux enfers avec un Charon médiévalo-fantastique, renforcé d’une voix sonorisée, de néons et d’effet stroboscopiques. In fine, les idées fourmillent, au risque de quelques télescopages ou longueurs, mais la proposition reste très séduisante. Un acte II semble prévu, en espérant pouvoir compter sur les mécènes !