Un violoncelle qui domine la scène du haut d'une estrade, le reste du quatuor jouant debout, le diable au corps, des tablettes tactiles qui remplacent les partitions : le Cuarteto Casals ne fait rien comme les autres. Voici pourtant l'une des plus audacieuses formation dont peut s’enorgueillir la nation espagnole. Les interprétations des Casals, moins plastiques que nombre de leurs alter egos de la scène internationale, ouvrent, par leur humanité, sur des profondeurs plus secrètes des trois compositeurs abordés cet après-midi : Schubert, Beethoven, Chostakovitch.
Dans la famille des Schubert inachevés, je demande le Quartettsatz. D'une beauté déchirante, les premières mesures réservent à l'auditeur un accueil orageux, d'un dramatisme proprement Beethovénien. Encore que, loin de l'univers coefficienté de ce dernier, l'on est avant tout chez un grand harmoniste.
Une première inspiration et nous voilà déjà emportés dans le premier flot de doubles-croches... Dans un tel condensé, c'est un véritable défi que de répondre avec la conviction nécessaire, le ton juste, et le soupçon de sensualité qu'il faut à cette œuvre. Mais le Cuarteto Casals se montre remarquablement touchant : les bourrasques sont poussées jusqu'à l'essoufflement, tout le quatuor est animé d'un irrépressible tremblement de vie. La première violon enclôt dans sa voix tous les drames qu'a connu Schubert en cette tragique année 1820. Voici venir le retour des lectures révélatrices de sens : de nouveau plus intérieures, plus confidentielles. Jusqu'à présent, seuls les Casals ont su inscrire en si peu de notes tant de secrets humains.
Longtemps négligé parce que jugé trop différent des œuvres qui l'encadrent, le sixième quatuor de Chostakovitch est ici l'équivalent d'un vilain petit canard que l'on aurait placé aux côtés de deux vedettes du répertoire... Mais quel en sera l'accueil ?
Très théâtral, comme une machine qui se met en branle, l'alto bat dix-huit fois la pulsation. Y répondent en cœur les deux violonistes, tournés l'un vers l'autre, s'interrogeant d'un regard complice. Ce premier Allegretto, à la consonance printanière, présente de fortes similarités avec le Final du Quintette Op. 57 ; Chostakovitch semble y avoir l'esprit ailleurs. Le premier violon de Vera Martinez badine sans fin, comme si la musique, en attente de quelque chose, se désintéressait d'elle-même. So far so good, semble-t-elle dire. L'insouciance n'est cependant que de façade. Quelques instants plus tard, nous voilà catapultés, comme par erreur, dans l'infamie grinçante. Pourtant, plus nous apprenons à connaître Chostakovitch, plus il est difficile de s'imaginer qu'il s'agirait d'une erreur de calcul.